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j. soury. — histoire du matérialisme

à la doctrine des tourbillons, c’était ce qui imposait à tous les bons esprits la théorie de la gravitation et de l’attraction, j’entends un vaste ensemble, un système magistral de preuves mathématiques. Aucun système n’était plus propre à frapper l’esprit exact et clair des Français, et non pas seulement un Maupertuis ou un d’Alembert, mais un Voltaire, un pur lettré, qui, malgré son beau zèle de physicien, de chimiste et de géomètre, ne dépassa jamais les éléments des sciences physiques et mathématiques. Ce n’est pas Voltaire qu’on prendra, comme Laplace, à tirer les dernières conséquences de la conception du monde de Newton. S’il ne fit pas sa paix avec l’Église comme ses maîtres d’au-delà de la Manche, il resta toujours fidèle aux deux grands principes de leur métaphysique. Le même homme qui ne respire que pour « écraser l’infâme », est grand partisan des causes finales et soutient avec plus de décision qu’un Clarke le dogme de l’existence de Dieu. Dieu est pour lui un artiste suprême qui a fait le monde avec sagesse et le dirige vers le bien. Si, après le tremblement de terre de Lisbonne, dit-on. Voltaire, jusque-là optimiste, devint pessimiste, et composa le prodigieux chef-d’œuvre d’ironie qui n’a d’égal dans aucune langue, rien ne demeura pourtant plus éloigné de sa pensée que d’imaginer l’univers comme un nuage de matière cosmique, passant par différents états de condensation et produisant tout ce qui existe sans but ni dessein. Voltaire tenait fort à n’être point matérialiste.

S’il a montré moins de fanatisme, de rage froide et sectaire que Rousseau, contre le Système de la nature, c’est qu’il n’était pas de Genève, et qu’il possédait infiniment d’esprit : mais il était homme à faire brûler cette « Bible de l’athéisme. »

Si Voltaire n’était guère mieux doué pour la philosophie première que pour les sciences naturelles, il ne manquait nullement de pénétration en psychologie, et il allait même ici plus loin que Locke. Il ne reculait pas devant ce fait d’expérience : La matière sent et pense. Il tenait donc volontiers « l’âme » pour une « abstraction réalisée. » Mais, avec Locke, il s’empressait d’ajouter qu’aussi bien ce serait une impiété de soutenir qu’il est impossible au créateur d’avoir pétri l’homme d’une manière pensante.

Croyait-il à l’immortalité de l’âme ? On ne le saurait dire. Il balançait entre les raisons théoriques, qui rendent cette croyance invraisemblable, et les raisons pratiques qui semblent l’affirmer comme une nécessité morale, nouveau trait qu’a Voltaire en commun avec Kant. Dans la philosophie morale, ce n’est plus Locke, c’est un disciple de Locke, Shaftesbury, que suit Voltaire. Il ne pouvait se faire à la doctrine de la relativité des notions de bien et de mal que Locke,