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beurier. — philosophie de m. renouvier.

C’est sur cette possibilité d’une éducation rationnelle que M. Renouvier fonde ses plus grandes espérances en l’avenir.


XI

La Liberté et la Certitude.

L’analyse de l’acte volontaire prouve clairement que nous croyons à la liberté. Or comment cette croyance, dont il est impossible d’affranchir sa conscience, s’expliquerait-elle si la liberté n’était pas effectivement réelle ? Comment admettre que la nécessité implique la fiction de son propre renversement dans l’ordre le plus élevé des phénomènes représentatifs ? « L’imagination, que Spinoza charge de tout le mal, serait ainsi une protestation contre la vérité, et cela, dans le sanctuaire même de la vérité, l’esprit du philosophe ! D’ailleurs l’ignorance, où nous sommes souvent, des causes de nos actions n’explique pas comment nous croyons libres celles-là même dont les motifs nous apparaissent clairement, et si l’obscurité de l’avenir était la seule base de l’indétermination des futurs ambigus, il faudrait que les hommes ne crussent jamais prédéterminés des phénomènes dont ils ignorent entièrement les lois. Mais il n’en est pas ainsi[1]. » Ajoutons que la nécessité entraîne la ruine de toutes les idées morales, de toutes les notions de droit et de devoir, alors que cependant le jugement de liberté est une donnée naturelle de la conscience et se lie à nos jugements réfléchis pratiques, dont il est même le fondement[2].

Cependant le libre arbitre n’est pas seulement en butte aux attaques des panthéistes et des matérialistes, et à celles des philosophes anglais qui prétendent établir, de par l’observation des faits, la nécessité absolue de tous les phénomènes présents, passés et futurs. Il n’a guère de pires ennemis que ceux qui essaient de l’expliquer soit par le déterminisme, soit par l’indifférentisme. Ces deux doctrines ne sont pas aussi opposées qu’on pourrait le croire. « L’indifférentisme, dit M. Renouvier, imagine une volonté séparée du jugement, séparée de l’homme raisonnable, hors-d’œuvre de la conscience réfléchie, impulsion gratuite, pouvoir insaisissable, cause absolue et chimérique introduite dans l’ordre de la réflexion et de la délibération. Mais, chose étrange ! le déterminisme s’appuie sur une

  1. Psychologie, II, 56.
  2. Id, id, 61.