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fiction pareille. Seulement au lieu de faire la volonté se mouvoir d’elle-même, il suppose qu’elle est là pour céder à des mouvements communiqués. Ainsi les deux doctrines s’accordent dans le fond à donner la volonté comme indifférente de sa nature. Seulement l’indifférence est active ici, et là passive. Cela posé, et pour toute réfutation, il faut nier que la volonté soit indifférente. Ce qui est indifférent, c’est l’abstraction personnifiée de la volonté, c’est l’homme considéré comme volonté pure, et cet homme est une chimère, et cette volonté n’est rien. Il faut nier que la volonté suive les déterminations intellectuelles et passionnelles, quand ces déterminations elles-mêmes impliquent la volonté : ceci contre le déterminisme. Et il faut nier que la volonté soit jamais dépouillée de toute représentation intellectuelle ou passionnelle et qu’elle paraisse ailleurs que dans un motif automoteur : ceci contre l’indifférentisme[1]. »


Tant de nuages ont été amassés sur cette question, tant de sophismes en ont obscurci la solution, que Kant lui-même n’a pu admettre la liberté que dans le noumène, ce qui nous reconduit à la philosophie de la substance et de la nécessité. On peut dire qu’avoir compris la liberté, c’est presque l’avoir démontrée[2]. Mais observons que le seul moyen de comprendre l’acte libre, c’est de le placer dans le motif lui-même, c’est d’admettre que le motif est déjà une volition. « La liberté que nous pouvons admettre, dit M. Renouvier, est le caractère de l’acte humain, réfléchi et volontaire, dans lequel la conscience pose étroitement unis le motif et le moteur identifiés avec elle, en s’affirmant que d’autres actes, exclusifs du premier, étaient possibles au même instant[3]. » La conscience sait toujours implicitement pouvoir réfléchir ; même lorsqu’elle s’abandonne, elle conserve un sentiment sourd des motifs qui la retiendraient si elle voulait réfléchir. Si donc elle ne suspend pas l’acte, elle est pourtant libre de le suspendre, elle est libre d’être libre, et ainsi : « La première des lois pratiques, avant ce qu’on appelle un bon usage de la liberté, c’est l’usage même. Ce seul précepte : exerce ta liberté, s’il est suivi, pose un premier fondement de la moralité des actes, appelle des motifs de tout ordre à intervenir au cours des délibérations, et, en éloignant tout vertige, assure, dans beaucoup de cas, la prépondérance de la raison. Le premier devoir de l’agent libre est donc premièrement cela même d’être libre. Il est libre, en vertu du sentiment qui lui est donné de ses forces réflexives et volontaires,

  1. Psychologie, II, 68, 72.
  2. Id., I, 282.
  3. Psychologie, II, 73.