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beurier. — philosophie de m. renouvier.

d’être libre encore en acte et par l’application habituelle de ces mêmes forces[1]. » En un mot, vouloir, c’est se faire ; se faire, c’est vouloir, et voilà comment, lorsque la liberté fait son apparition dans un être, elle lui donne une existence incomparablement plus propre ; il se distinguait, il se sépare ; il était lui, il devient par lui ; de là, un individu, et le plus individuel qui nous soit connu, l’individu humain. L’acte de la liberté est le vrai substratum de la personne, et, par là même, le principe suprême de l’individuation, autrefois vainement placé dans les inintelligibles essences de la forme ou de la matière. C’est donc la notion de la liberté, incompréhensible au premier abord, qui seule permet à l’homme de se comprendre et de voir que la permanence personnelle est une loi dans le changement sous une conscience qui le domine[2].

L’action volontaire est très-étroitement limitée par l’influence des milieux, par l’hérédité, par les maladies, par mainte autre cause, et elle se limite elle-même par les habitudes qu’elle se crée. Le tout est de savoir si elle est inconciliable, quelque bornée qu’elle soit, avec l’existence des lois physiques. Nous serrons ici la question d’aussi près que possible. Commençons par reconnaître que la liberté, pour s’exercer, suppose des lois fixes. Tous les modes d’exister sont préordonnés, rien n’est possible que sous certaines formes et dans de certaines conditions, mais l’exister lui-même n’est pas préordonné, car des possibles peuvent ne point se réaliser. Que si l’on invoque la nécessité pour nier les possibles ambigus, on fait une pétition de principe. Le nécessaire est le phénomène donné, qui ne peut pas ne pas avoir été, puisqu’il est ; mais se produit-il ou a-t-il été produit fatalement ou librement ? la liberté, occasionnée en partie par la nécessité naturelle acquise, ne peut-elle pas à son tour réagir sur elle et être l’un de ses facteurs ? Rien n’empêche de concilier le déterminisme de la nature avec la volonté libre. Écoutons à ce sujet M. Renouvier. Voici comment il s’exprime :

« Parmi les événements de tout ordre, internes ou externes, que l’automotivité représentative humaine appelle dans le champ des réalités, il n’en est point que, dans la thèse la plus franche de la liberté, nous puissions considérer comme nouveaux, à savoir d’une essence indéfinie et imprévoyable, ou qui n’aient leur racine dans le fond commun des lois du monde ainsi que dans le fond personnel de l’expérience, de l’imagination et de la mémoire. Tous ont des rapports préexistants et de tous côtés ; c’est en cela même qu’ils sont possibles ; mais il en survient de nouveaux auparavant indéfinis et

  1. Psychologie, II, 74, 75.
  2. Id., id., 367 et sq.