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joly. — la jeunesse de leibniz

exoriri aliquando qui omnigenæ eruditionis, historiæque ac linguarum, tum philosophiæ quoque subsidiis instructus, iliustrata omni christianæ religionis harmonia ac pulchritudine, discussisque objectionum innumerabilium contra dogmata, textum, historiam, nebulis, plenam sine exceptione victoriam reportet[1]. » Comment s’étonner qu’une carrière philosophique commencée sous de tels auspices ait été couronnée par les Essais de théodicée ? Rappelons, sans y insister, ce fait, aujourd’hui bien connu[2] et capital, que c’est le désir de trouver une explication de l’Eucharistie qui poussa le plus fortement Leibniz à renouveler la notion de substance. Et dans un ordre d’idées tout voisin, quand il refusa de faire du corps lui-même une substance inerte et toute passive, on ne peut douter que le plaisir de mieux expliquer à ses contemporains les dogmes de la résurrection de la chair et du péché originel ne l’ait encouragé dans les débuts de son entreprise. Il s’entendait ainsi avec les adversaires de Descartes, en ayant la satisfaction de superposer à leurs critiques une théorie qui lui paraissait concilier les plus importantes vérités métaphysiques et religieuses.

Mais l’enseignement de Thomasius nous montre aussi par quels efforts et avec quelle passion on enflammait alors le cœur des jeunes gens pour la gloire de la religion réformée. La vie tout entière de Leibniz ne le montre pas infidèle aux leçons de ses premiers maîtres. On sait que la naïveté de quelques écrivains superficiels se laissa prendre un instant à des formules de politesse ou aux divers artifices d’une subtile et souple polémique. Pourtant, avant même qu’on leur eût donné le secret facile à trouver de la composition du systema theologicum, ils eussent pu voir comment Leibniz répondait aux insinuations de ses correspondants, quand ils voulaient pénétrer un peu plus avant dans sa conscience et opérer une tentative un peu plus hardie de conversion personnelle. Avec quelle ironie, quelle acrimonie et quels sarcasmes même, il riposte alors à Arnauld, à Malebranche et à Bossuet, malgré tous les compliments dont il les accable ailleurs en prose et en vers !

Il est une partie considérable de sa philosophie qui nous paraît plus particulièrement remplie de l’esprit luthérien, nous voulons parler de sa doctrine sur la liberté. Ce n’est pas ici le lieu de faire une dissertation sur le système de Leibniz : quelques indications suffi-

  1. Lettre à Spizelius, février 1670. Dutens, tome V.
  2. Voyez dans les notes de la biographie de Guhrauer le projet de lettre à Arnauld (1671) reproduit dans l’introduction de M. Janet à son édition des œuvres philosophiques, puis de très-nombreux passages de la correspondance avec Pellisson, Bossuet (Œuvres, édition F. de Careil, tomes I et II), etc., etc.