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nolen. — les maîtres de kant

renaître de ses cendres. — La matière et la pensée sont étroitement associées sur notre terre ; il est légitime de croire que le même rapport les unit dans tout l’univers. Et, de même que l’organisation matérielle, la vie et la pensée doivent traverser tous les degrés possibles de perfectionnement. La terre n’est pas seule habitée : la cosmogonie mécanique nous oblige de croire que l’humanité n’est ni l’unique ni la plus haute manifestation de la pensée dans l’infinité des mondes. Pour nous borner à notre système planétaire, n’est-il pas vraisemblable que la perfection des habitants des planètes va en croissant de Mercure jusqu’à Saturne, c’est-à-dire avec leur éloignement du soleil ?

Quelque séduction qu’exerce sur l’esprit de Kant la physique de Newton, elle n’émousse pourtant pas son sens critique ; elle ne l’empêche pas de reconnaître l’insuffisance actuelle du mécanisme pour rendre compte de la vie et de l’organisme. « Si l’on peut dire sans témérité : Donnez-moi de la matière, et j’en ferai un monde ; peut-on se vanter d’un tel succès, à propos de la plus infime des plantes ou du moindre insecte[1] ? »

Malgré ces réserves, l’imagination religieuse de Kant, excitée par les perspectives grandioses que lui ouvre la théorie de Newton, ne peut se défendre d’associer ses espérances d’immortalité aux inductions de la physique astronomique sur l’infinité de la création.

« L’âme immortelle, dont la mort ne suspend pas, mais transforme seulement l’existence… sera-t-elle toujours attachée à ce point du monde, à cette terre ? Ne lui sera-t-il jamais donné de contempler de plus près toutes les merveilles de la création. Qui sait si elle n’est pas destinée à connaître quelque jour de près ces globes éloignés et leurs merveilleuses dispositions, qui enflammiCnt de si loin sa curiosité ? Peut-être que de nouveaux globes sont en voie de formation au sein du système planétaire, et doivent, après le temps marqué pour notre séjour ici-bas, nous offrir, sous d’autres cieux, une patrie nouvelle. Il est permis, il est conforme à la piété de se charmer par de telles pensées : personne néanmoins ne voudra fonder l’espoir de l’avenir sur les fragiles hypothèses de l’imagination[2]. En tout cas, lorsqu’on a l’esprit plein de telles conceptions, la vue du ciel étoile, par une belle nuit, procure une jouissance que connaissent seules les nobles âmes. Dans le silence général de la nature et le calme des sens, les puissances secrètes de la raison immortelle nous parlent alors un langage ineffable et éveillent en nous des pensées confuses, qu’on sent mieux qu’on ne les peut exprimer. »

  1. Ibid., p. 220.
  2. Ibid., p. 344.