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nolen. — les maîtres de kant

Et comment un disciple de Newton et des physiciens aurait-il jamais consenti à faire du mécanisme physique, de la certitude expérimentale par conséquent, une pure suggestion de l’habitude et des sens, une hypothèse sans solidité ? Tous ceux qui ont présentes à l’esprit les fermes déclarations de la préface des Prolégomènes ne croiront pas que Kant ait jamais souscrit aux conséquences sceptiques que Hume tirait de sa doctrine. Il n’en était pas moins profondément convaincu pour cela de la justesse de la critique dirigée par le philosophe anglais contre le principe de causalité ! Et les affirmations contraires de la dissertation ne nous paraissent pas prouver sérieusement qu’il eût changé d’avis sur ce point.

Ce n’est pas seulement contre la critique de Hume qu’il fallait défendre la certitude expérimentale. Kant venait de découvrir dans les antinomies une arme redoutable, dont les coups ne menaçaient pas moins la certitude de la physique que celle des mathématiques.

En même temps que la critique de Hume, la découverte des antinomies de la raison pure a certainement, vers 1770, exercé une influence décisive sur la pensée de Kant. Gela ressort évidemment du mémoire déjà mentionné : « Quels progrès réels la métaphysique a-t-elle faits depuis le temps de Leibniz et de Wolf ? » Kant y insiste longuement et à plusieurs reprises sur la découverte des antinomies comme sur un « phénomène remarquable, qui devait tirer brusquement la raison du sommeil auquel elle se livrait sur l’oreiller d’un savoir qu’elle croyait étendre par de pures idées en dehors de toutes les bornes d’une expérience possible[1]. »

Nous avons vu comment Kant avait résolu dans la dissertation inaugurale les antinomies mathématiques. Mais les antinomies dynamiques ne se dressent pas moins pressantes devant sa critique désormais éveillée.

Comment concilier avec le déterminisme mécanique, dont la physique de Newton est l’expression la plus haute, l’action d’une première cause, soit Dieu, soit l’homme ? Où trouver une place pour la liberté humaine dans cet enchaînement inexorable des phénomènes qu’exige impérieusement la science ? Où reconnaître l’initiative de l’action créatrice dans un monde régi par la loi inflexible de la causalité mécanique ? Et pourtant Kant est bien résolu à ne sacrifier à la science aucun des principes de sa foi pratique. Dans tous ses écrits s’accuse énergiquement cette disposition, que ses premiers maîtres avaient rendue si puissante en lui. Comme il le dira plus tard, il ne renonce à la métaphysique de l’école que pour faire

  1. Kant’s Werke, t. VIII, p. 580.