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place à la croyance. Sa foi à la liberté, au devoir et à Dieu ne s’est jamais sentie inquiète à l’école de Newton, non plus que lorsque, à l’exemple du maître, il déroulait, soit dans l’Histoire du ciel, soit dans l’unique démonstration de Dieu, les hypothèses les plus hardies de la cosmogonie mécanique. Mais cette confiance inébranlable, n’est-il pas possible de l’appuyer sur un fondement philosophique ? Cet accord de la foi et de la science, doit-on se borner à l’affirmer comme un besoin indiscutable de la pensée, et est-il interdit de le démontrer ? Faut-il renoncer à faire régner entre les puissances de l’âme, entre ses facultés théoriques et ses facultés morales, l’harmonie que la découverte des formes pures de l’intuition vient si heureusement de rétablir entre les sens et l’entendement ? Kant ne le croit pas, et il ne tarde pas à trouver la solution espérée.

Il n’est pas douteux, d’après l’essai sur les progrès de la métaphysique, que le désir de résoudre les antinomies dynamiques, comme il venait de faire les antinomies mathématiques, n’ait inspiré les recherches de Kant. Il avait trouvé la solution des premières dans la théorie de l’idéalité des intuitions mathématiques : il appliquera aux secondes le même mode d’explication. Les principes de cause et de substance sont des jugements synthétiques a priori, des formes transcendantales, comme le temps et l’espace. Là est la première réponse à l’empirisme de Hume. Mais il faut prouver que ces principes gouvernent la réalité, tandis qu’une pareille démonstration n’est pas à faire pour les notions mathématiques, dont la vérité est indépendante des données et des confirmations de l’expérience. C’est le problème qui arrête et retient la pensée de Kant en 1772 et dont il essaye, dans la célèbre lettre en date du 21 février 1772, de faire mesurer à Marcus Herz l’importance et la difficulté. La réponse, il la trouve dans ce fait que l’expérience n’est pas possible en dehors des règles du déterminisme mécanique. Il n’y aurait pas autrement de réalité, de science expérimentale.

Newton avait prouvé par le succès la valeur du mécanisme : Kant veut démontrer qu’aucune autre méthode d’investigation scientifique n’est possible. Après la question de fait, il discute la question de droit. Il ne lui suffit pas de dresser la liste des catégories, ou des lois de la connaissance expérimentale : il en veut apporter la déduction. Là est, il le déclare dans la lettre à Marcus Herz, et il ne se lasse pas d’y insister dans l’analytique de la raison pure, la grande nouveauté de son entreprise philosophique. Il prouve que la raison dernière des catégories ne doit pas plus être cherchée en Dieu que dans les données des sens, dans l’habitude ou dans l’instinct, comme le prétend Hume. Les catégories sont la condition nécessaire