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Ces erreurs sont si fréquentes que les hommes les plus éminents n’en sont pas exempts, et elles sont compatibles avec un très grand développement des facultés intellectuelles. On peut citer des exemples curieux, par exemple la discussion d’Arnauld et de Malebranche. « Je ne crois pas, dit Malebranche, devoir rien répondre à M. Arnauld sur son vingt-unième chapitre, où il prétend faire voir que je me suis expliqué confusément sur les quatre manières dont on voit les choses, si ce n’est, que quand on se met un peu sur le tard à philosopher, on ne prend pas facilement le sens de ceux qui méditent, et que cela même est moralement impossible quand le chagrin est de la partie[1]. »

« À notre grand regret, dit M. Huxley dans son étude sur les critiques adressées au livre de M. Darwin sur l’origine des espèces, nous sommes forcé de reconnaître que nous sommes en désaccord très marqué avec le professeur Kölliker sur plusieurs de ses observations, et c’est surtout dans sa définition de ce que nous pouvons appeler la position philosophique du darwinisme, que nous sommes en complète opposition avec lui. « Darwin, dit le professeur Kölliker, est, dans toute l’acception du mot, un téléologiste. Il dit sans ambiguïté que toutes les particularités de la structure d’un animal ont été créées pour son bien, et il considère toute la série des formes animales à ce point de vue seulement. » « Il est curieux, ajoute M. Huxley, qu’un même livre puisse impressionner d’une façon si différente des esprits différents. Ce qui m’avait frappé surtout, et ce dont je m’étais convaincu en parcourant pour la première fois l’Origine des espèces, c’est que M. Darwin avait porté le coup de grâce à la doctrine téléologique telle qu’on la comprend habituellement[2]. »

Et plus loin : « selon M. Flourens, la grande erreur de Darwin est d’avoir personnifié la nature… « Quoi ! M. Flourens n’a-t-il pas compris la nécessité logique de ces arguments simples qui servent de base à tous les raisonnements de M. Darwin ? A-t-il pu confondre une déduction irréfragable, tirée des rapports reconnus qui subsistent entre les organismes et les conditions qui les entourent, avec une forme substantielle métaphysique, une personnification chimérique des forces de la nature ? Ce serait à n’y pas croire, si d’autres passages du livre ne venaient faire cesser toute hésitation à cet égard. « On imagine une élection naturelle, que pour plus de ménage-

  1. Réponse du Père Malebranche au livre Des vraies et des fausses idées, publié avec les Œuvres philosophiques d’Arnauld, par M. Jules Simon, p. 410.
  2. Huxley, Les sciences naturelles et les problèmes qu’elles font surgir, p. 421.