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paulhan. — l’erreur et la sélection.

ment on me dit être inconsciente, sans s’apercevoir que le contresens littéral est précisément là : élection inconsciente. » J’ai déjà dit ce qu’il faut penser de l’élection naturelle. Ou « l’élection naturelle n’est rien, ou c’est la nature. Mais la nature douée d’élection, mais la nature personnifiée ?… Dernière erreur du dernier siècle !… Le dix-neuvième ne fait plus de personnification. »

On voit que ces faits se rapprochent beaucoup des erreurs de l’ordre de la sensation que nous avons déjà vues. Comme dans le lapsus visuel de M. Egger, comme dans le mien, comme dans les autres erreurs du même genre que j’ai rapportées, c’est toujours ce qui ressemble aux impressions déjà éprouvées qui peut être reçu par les organes et qui détermine l’erreur par les idées ou les sensations qui sont ensuite éveillées, grâce à l’association.

La lutte est quelquefois accompagnée de conscience. Il y a une sorte de lutte pour l’existence entre les diverses idées qui nous assaillent et celles que nous avons déjà, et nos jugements sont déterminés bien souvent par l’habitude. Léon Dumont a signalé dans un de ses ouvrages la lutte pour l’existence entre les idées conscientes[1]. Ailleurs il dit encore : « Ce fait que M. Janet trouve inconcevable, la production d’une organisation complexe sans une prévision directrice, nous le trouvons sans doute, par suite d’habitudes toutes différentes, non-seulement facile à comprendre, mais évident et nécessaire[2]. »

Les troubles pathologiques de l’intelligence nous fournissent d’autres exemples de la sélection à laquelle sont soumises les causes des phénomènes psycho-biologiques, et des effets de l’habitude sur cette sélection.

L’aliénation mentale en effet est fréquemment caractérisée par la prédominance presque exclusive d’un sentiment que toute excitation réveille, dune idée que toute excitation ramène. Ne faut-il pas voir dans cela une concurrence et une sélection entre les diverses tendances inconscientes qui subsistent en nous et deviennent conscientes quand elles sont favorisées par les circonstances ? Plus la tendance est forte, plus elle aura d’occasions de se manifester. Dans la vie normale, les idées qui nous sont familières, celles que nous avons le plus souvent méditées se réveillent fréquemment. Les circonstances qui les amènent ne pourraient les faire apparaître également chez des personnes habituées à des pensées d’une autre nature. Il paraît bien qu’il en est de même dans l’aliénation men-

  1. Léon Dumont, Théorie scientifique de la sensibilité, p. 1.
  2. Léon Dumont, Le transformisme et les causes finales, (Revue scientifique du 30 septembre 1876).