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hartmann. — la philosophie religieuse

judéo-chrétien, avant que le principe de l’immanence pût se développer librement.

Jésus lui-même ne pouvait pas songer à enseigner le principe de l’immanence, qui est diamétralement opposé à sa conception du monde, ni surtout à en faire la pierre angulaire d’une nouvelle religion universelle qu’il n’avait jamais eu l’idée de fonder. Il est vrai que Jésus n’est pas le vrai fondateur de la religion chrétienne de la délivrance (c’est plutôt saint Paul, qui n’a connu ni la personne ni la doctrine de Jésus) ; mais il est également vrai que Jésus peut encore bien moins être désigné ou vénéré comme le fondateur de la religion de la délivrance immanente. Il n’est ni le seul ni le premier qui ait enseigné une religion de la délivrance ; mais son enseignement, sous ce rapport, n’est pas plus parfait que celui des autres, et surtout n’a pas été représenté par le protestantisme spéculatif. On ne peut donc pas voir quels rapports de continuité existent entre ce dernier et Jésus, ou à quel point de vue le protestantisme spéculatif pourrait considérer Jésus comme son fondateur. Une continuité directe est absolument inadmissible ; elle n’aurait d’autres fondements que la communauté de certains principes moraux qui reviennent dans la plupart des religions et des systèmes. Une continuité indirecte par l’intermédiaire du christianisme pourrait seulement être constatée dans le même sens que celle entre une série de trois météores dont l’un succède à l’autre en se pénétrant des éléments de celui qui l’a précédé, avant de le remplacer.

Autant la religion de la délivrance universelle fondée par Paul est éloignée du judaïsme talmudique de Jésus modifié par la proclamation de l’approche du royaume de Dieu, autant la religion de la délivrance immanente enseignée par le protestantisme spéculatif est éloignée de la religion de la délivrance extérieure miraculeuse enseignée par le christianisme de Paul. L’opposition entre la religion de l’immanence et le christianisme est bien plus grande que celle entre la religion de la délivrance chrétienne et la religion juive de la loi ; ces deux dernières ont pour base commune le système théiste du monde, tandis que la première est basée sur le système contraire du panthéisme. De même que la religion chrétienne de la délivrance s’efforçait d’exprimer d’abord son contenu intellectuel essentiellement nouveau en se servant des formules contraires de la dogmatique juive, de même le protestantisme spéculatif cherche à exprimer son contenu essentiellement nouveau, puisé non dans le christianisme, mais dans la philosophie spéculative allemande, en se servant des formules contraires de la dogmatique chrétienne, afin de lui donner une valeur religieuse pratique.