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Aussi longtemps que l’esprit arien a cherché à faire prévaloir dans le sein du christianisme triomphant ses aspirations religieuses et intellectuelles vers le principe de l’immanence, il devait échouer contre la souveraineté incontestée de son adversaire. Mais, aussitôt que la néologie et le rationalisme théologique eurent dépouillé le dogme chrétien de son contenu propre, l’esprit arien put se développer en toute liberté à côté de la dogmatique minée intérieurement et amener la conscience religieuse au delà de l’hétéronomie de la religion de la loi et de la religion de la délivrance extérieure miraculeuse vers l’autonomie de la religion chrétienne. Cette spéculation allemande n’est donc pas de souche chrétienne ; c’est sur les débris de la dogmatique chrétienne qu’elle élève au dieu nouveau, au dieu immanent, un temple que le protestantisme spéculatif entreprend de déparer en employant les vases de l’ancien culte.

Son contenu positif et religieux, ce protestantisme le doit non pas au christianisme, mais à la spéculation libre, opposée au système chrétien. Quant à son contenu chrétien ou prétendu chrétien, on ne peut y voir, comme nous l’avons démontré, que des additions illogiques, complètement insoutenables, en d’autres termes, des expédients pour couvrir la retraite. Comme protestantisme, c’est-à-dire comme secte chrétienne, le protestantisme spéculatif appartient déjà aujourd’hui à un passé mort ; il apparaît comme un dernier rejeton « du christianisme en décomposition » ; comme philosophie religieuse spéculative, il est, au contraire, le germe d’une nouvelle religion panthéiste de l’avenir, qui utilise les résultats de la philosophie spéculative pour satisfaire le plus possible le besoin religieux. Par les vues qu’il jette en arrière, il apprend à comprendre l’existence des dogmes dans le sens le plus élevé, et, ce que l’on comprend ainsi, on l’a déjà dépassé. Par sa tendance au progrès, il ouvre la perspective immense d’une nouvelle ère religieuse qui promet de conduire l’humanité aussi loin au delà du christianisme que celui-ci l’a conduite au delà du judaïsme. Dans les deux directions, il constitue un phénomène historique tel qu’il ne s’en produit pas à des siècles, mais à des milliers d’années d’intervalle.

E. de Hartmann.