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mener, à partir de chaque point de l’espace et dans chaque direction une ligne droite et une seule. Ils font, au contraire, abstraction de l’idée de similitude, paraissant moins fondamentale ou moins indispensable, c’est-à-dire qu’ils conviennent de ne pas recourir à l’intuition, en tant qu’elle nous assure que toute figure peut être reproduite à une échelle de grandeur quelconque sans que ses angles soient altérés, ou, par conséquent, en ce qu’elle nous montre une corrélation stricte entre le fait de l’égalité des angles correspondants, formés dans un plan par deux droites que coupe une sécante, et le fait de la non-intersection de ces droites, autant dans le cas où la portion de sécante comprise entre les droites est finie que dans le cas où elle est infiniment petite et où cette corrélation résulte de l’idée même de ligne droite.

Ils ne nient donc pas la valeur et la légitimité de l’intuition géométrique dans ses applications à l’ordre concret ; en sorte que leurs recherches, utiles tout au moins par les classements rationnels d’idées qu’elles peuvent faire connaître, paraissent sans danger pour la rectitude de l’esprit, même aux yeux de ceux qui ne se sentent pas certains de la possibilité de scinder ainsi fictivement leur faculté de se représenter les formes et qui, par suite, conservent des doutes sur la portée — fût-elle tout abstraite — des conséquences ainsi déduites.

Mais d’autres partisans de la géométrie non-euclidienne ne s’en tiennent pas là. Désireux sans doute de donner plus d’importance à leurs spéculations, ils voudraient pouvoir les introduire dans la pratique, là où leur négation de l’idée de similitude, cessant d’être purement fictive, est condamnée de suite et sans appel par le sens géométrique tel qu’il existe chez eux autant que chez les autres hommes. Force leur est donc de s’attaquer à ce sens lui-même. Et c’est ainsi qu’ils se décident à mettre en suspicion l’intuition ou évidence géométrique, la qualifiant de « chose mal définie », la regardant comme un simple « produit de l’expérience » sensible, comme une sorte de souvenir généralisé des perceptions tactiles ou visuelles. Ils en viennent à dire qu’il faut assimiler ce qu’elle nous montre à des données empiriques, aux résultats toujours plus ou moins grossiers de nos observations, et l’écarter entièrement des raisonnements vraiment mathématiques, qui seuls, d’après eux, seraient rigoureux ou exacts.

Il peut donc être bon d’examiner rapidement si ces objections sont fondées, et si les raisonnements des mathématiciens subsisteraient, en dehors des matériaux que leur fournit l’intuition géométrique ou tout au moins de l’appui qu’elle leur prête.