Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/376

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
370
revue philosophique

les mouvements résultant de leur composition. De fait, une translation uniforme imprimée aux axes des coordonnées ne compliquerait pas les lois et n’y changerait même rien ; mais il en est autrement, comme on sait, d’une rotation.

Dans les problèmes pratiques, on peut supposer fixes les gros corps, avec une approximation d’autant plus grande qu’ils sont plus considérables, lorsqu’on étudie les mouvements qu’exécutent à leur intérieur ou près de leur surface d’autres corps beaucoup plus petits. Gela revient à admettre que les grandes masses ne sont animées, dans la nature, que de vitesses de translation et de rotation très faibles, ou du moins très graduellement variables, en comparaison de celles qu’ont relativement à elles les petits corps contigus ; de telle manière qu’il soit permis d’attribuer aux lois du mouvement relatif de ceux-ci la même simplicité qu’à des lois de mouvements absolus, en commettant seulement des erreurs à peine sensibles aux moyens d’expérimentation les plus délicats. C’est ainsi que la terre peut être censée fixe, avec une approximation très notable, par rapport aux corps qui se meuvent à sa surface. Une approximation plus grande s’obtient en supposant la terre et les planètes en mouvement autour du centre de gravité du système solaire, c’est-à-dire, à fort peu près, autour du centre du soleil. Enfin, dans l’approximation la plus haute à laquelle nous puissions prétendre de nos jours, on ne regarde comme immobile que l’ensemble des étoiles visibles et de l’éther qui nous transmet leur lumière.

Le bon sens de tous les temps a donc eu bien raison d’attribuer le mouvement aux petits corps de préférence aux gros. La fausse application qu’il a faite autrefois de cette loi, en quelque sorte instinctive, quand il en déduisit l’hypothèse de l’immobilité de la terre dans l’espace et du mouvement absolu des astres autour d’elle, avait pour véritable cause l’ignorance où l’on était des distances et des vraies grandeurs de ces astres. Pour rester fidèle à son principe, il ne pouvait s’empêcher de faire mouvoir la terre plutôt que le soleil et les étoiles, dès qu’il devenait palpable que celles-ci sont beaucoup plus grosses qu’elle. L’erreur dont il s’agit, la plus grande peut-être qu’ait commise le sens commun, n’est donc au fond qu’une erreur matérielle ; et elle n’empêche nullement de penser que ce sens commun, interrogé convenablement, est encore, de tous les critériums philosophiques ou scientifiques, celui qui trompe le moins.

J. Boussinesq,

Professeur à la Faculté des sciences de Lille.