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futur premier président. Qu’on juge si elle trouvait à se satisfaire à l’heure présente ! Le jeune M. de Bertier était le plus compromis entre « ces jeunes gentilshommes cognus à Toulouse par noms et par surnoms[1] » que la voix publique accusait d’avoir été les complices volontaires, les fauteurs de Pompeïo et non pas seulement ses disciples inconscients. Or le procureur général tenait entre ses mains le sort de ce jeune homme, sinon sa vie, du moins son avenir de magistrat. Entre tous les membres de la Cour, M. de Bertier était le seul qui ne pût attendre de M. de Saint-Félix ces égards, ces ménagements qu’inspire, que commande souvent l’esprit de corps. Plus que personne, il avait dû souffrir de la marche embarrassée du procès.

Si quelqu’un s’était entremis pour qu’on acquittât le prévenu, c’était lui : selon toute apparence, l’arrêt de non-heu avait été pour lui une victoire longuement préparée ; la décision du procureur général lui en dérobait le profit et le replongeait dans ses perplexités. Aussi disait-on au Palais, et Leibniz nous a transmis ce propos, que M. de Saint-Félix ne continuait les poursuites que pour mettre sur les épines le (futur) premier président[2].

Malgré cet incident, Vanini, dans la demi-liberté dont il jouissait, pouvait se flatter d’avoir échappé encore une fois aux malignes influences de son étoile. Mais, vers la fin du mois de janvier 1619, le duc de Montmorency, gouverneur de Languedoc, qui faisait à la jeune princesse dei Orsini, sa femme, les honneurs de sa province, arriva à Toulouse[3] et cette circonstance, qui était, ce semble, pour le philosophe, indifférente et sans intérêt, fut en réalité la cause de son supplice. C’était ce même duc de Montmorency qui devait, treize ans plus tard, coupable alors de haute trahison, vaincu, blessé, prisonnier de Richelieu, entrer une dernière fois dans son ancienne capitale, et, jugé lui aussi par le Parlement, qui ne le condamnait qu’en pleurant, rougir de son sang, au pied de la statue de Henri IV, le pavé de la cour de l’hôtel de ville. Il n’avait encore que vingt-quatre ans. Les mémoires du temps le donnent pour l’homme de France le mieux fait, le plus aimable, le plus brave et le plus magnifique ; ils se sont bien gardés d’ajouter : le plus libre d’esprit ; mais on sait assez que le poète Théophile, un autre Vanini, exilé par le Parlement de Paris, qui aurait préféré le brûler en Grève, trouva enfin asile dans son hôtel, et qu’il y mourut. — Quoique le duc eût l’âme haute, il donnait naturellement du charme à la grandeur, et même ses caprices d’autorité n’étaient pas sans grâce. Il voulut que

  1. Claude Malingre, continuateur de Mathieu, p. 621, 622.
  2. Leibniz, édition citée, tome I, p. 461.
  3. Annales de l’hôtel de ville de Toulouse, tome VI, fol. 40.