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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

avec lui, il ajoutait qu’elle vivrait dans les livres qu’il avait écrits pour la répandre [1]. II disait ces choses assez haut pour que tout le monde les entendit, et, avec la conscience de donner un grand exemple, il s’écriait par intervalles qu’il mourait en philosophe[2].

Il parla jusque sur l’échafaud, pendant que le bourreau allumait le bûcher. Plusieurs de ceux qu’il avait connus se trouvaient sur la place au milieu de la foule, où ils étaient venus peut-être pour lui dire du regard un dernier adieu. Il se tourna vers eux, et, revenant à Jésus, il nia de nouveau sa divinité. On a recueilli ce propos : « Vous voyez, un misérable Juif est cause que je suis ici [3]. » Les témoins n’ont pas osé rapporter le reste. Des clameurs furieuses accueillirent ces paroles ; on criait au bourreau de se hâter[4]. — Lorsqu’il eut saisi le condamné, et qu’ayant pris la hart il eut fixé sa tète au poteau, il se fit un grand silence. Pompeïo refusait de livrer sa langue au couteau. Alors on vit une chose horrible : l’exécuteur enfonçant de force des tenailles dans la bouche de l’infortuné. Au moment où il saisissait sa langue, Pompeïo poussa un cri de douleur si fort et si déchirant que les assistants en frémirent[5]

La langue avait été arrachée jusqu’à la racine et jetée au feu. Aussitôt, comme le voulait l’arrêt, ce qui restait de Pompeïo fut étranglé. Ceux qui demeurèrent sur la place après qu’il eut expiré purent voir l’exécuteur détacher son corps du gibet et le lancer sur le bûcher, puis en ramasser les cendres et les jeter à tous les vents.

Le président Barthélémy de Gramond et le jésuite Bisselius ont parlé odieusement de cette mort du philosophe : ils ont cherché à en dégrader le grand caractère ; ils avaient pour cela leurs raisons, A l’époque où leurs livres parurent, le nom de Lucilio était devenu un mot d’ordre ; l’armée des esprits indépendants — ils étaient 50 000 en 1626 à Paris seulement, suivant le P. Mersenne[6] — marchait mystérieusement sous les enseignes de son orateur, de son champion, de son héros de Toulouse. On le savait dans le camp opposé, et on s’en inquiétait ; on craignait les comparaisons indiscrètes. On n’eût pas voulu qu’il fût dit que, comme la religion, la philosophie pouvait avoir des martyrs[7]. Aussi écoutez Barthélémy. « J’ai vu Pompeïo

  1. Garasse, Doctrine curieuse, p. 145, 146.
  2. Barthélémy de Gramond, Hist., p. 208-210 ; Bisselius, Septenn., p. 145, 146, et Annales manuscrites de l’hôtel de ville, tome VI, fol. 13, 14.
  3. Hist. trag. de Rosset, édition citée, p. 185-213.
  4. Ibidem.
  5. Ibidem., et Barthélémy de Gramond, Hist., p. 208-210.
  6. Passage supprimé des Quæstiones in Genesim de Mersenne, rapporté par Chauffepié, vo Vanini.
  7. Le mot se trouve dans le Patiniana et dans Bayle.