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sur la claie, dit-il ; son air était farouche. Il y avait de la terreur dans ses yeux et de l’angoisse dans sa parole. On jugeait, au désordre de ses mouvements, à l’incohérence de ses discours, qu’il ne savait plus ni ce qu’il faisait ni ce qu’il disait. Sur l’échafaud, il cria quand on lui arracha la langue, et son cri n’avait rien d’humain : c’était le beuglement d’un bœuf qu’on assomme[1]. »

Le P. Bisselius pousse plus loin encore, si j’ose dire, la bêtise de la passion. Chez lui aussi, le philosophe beugle, mais non pas seulement quand la langue lui est arrachée, car il est brûlé vif, et il importune la ville de ses beuglements jusqu’à ce que la flamme achève de le dévorer[2].

Dans les relations contemporaines, c’est le sentiment de l’admiration qui domine. D’Autreville[3], Malingre[4], le Mercure français[5], injurient par bienséance l’Italien philosophe, mais pour avoir le droit d’écrire « qu’il mourut avec autant de constance, de patience et de volonté qu’aucun autre homme qu’on aye veu. » Le P. Garasse lui-même rend justice à son intrépidité, quoiqu’il lui plaise de l’attribuer à la rage et au désespoir[6]. Mais on peut dire que Vanini n’a jamais été loué plus magnifiquement qu’à Toulouse même, la ville sainte, loco sancto, dit Barthélémy, sur la place même où il avait péri, et deux jours après. L’imagination échauffée au spectacle de son courage, des sectateurs de l’esprit nouveau, jeunes, ingénieux, spirituels, mais capables de pensées hautes, assez grands pour ne rien craindre, d’ailleurs si pleins d’audace qu’ils auraient volontiers tout osé, entreprirent de le venger de la justice, sous les yeux du Parlement, et de faire acclamer par le peuple, qui avait hâté sa mort, l’augure de son immortalité. Ils ne mirent personne dans le secret de leur dessein : ce fut une représentation qu’ils se donnèrent à eux-mêmes et dont ils furent seuls à goûter l’irrévérence et l’ironie[7].

Le lundi 11 février, par une belle et claire journée, l’une des quadrilles qui devait courir la bague fit son entrée sur cette place tragique du Salin, où l’on n’entendait plus alors que des cris de joie. C’étaient les Chevaliers du Laurier : trois héros, Alcée, Alcippe et Liridor ; et trois héroïnes à la mode du Tasse : Stratonice, Andronice

  1. Barthélémy de Gramond, Hist., p. 208-210.
  2. Bisselius, Septenn., p. 324.
  3. Inventaire général des affaires de France, année 1619.
  4. Continuation de P. Mathieu, p. 620-622.
  5. Mercure françois, t. V, p. 63, 64.
  6. Garasse, Doctrine curieuse, p. 144, 140-151, 801, etc.
  7. Mercure françois, tome V, p. 120 et suiv.