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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

et Androfile ; ou, pour leur donner leurs noms véritables, le duc de Montmorency, le baron de Savignac, le vicomte d’Arpajon, et les tout jeunes seigneurs de Montaut, de Pins et de Moussoulens. Leurs chevaux étaient couverts de toile d’or ; des langues de soie rouge flottaient sur les caparaçons et jusque sur les crinières. Marchant par petits groupes, et — qu’on veuille bien y songer — soulevant peut-être sous les pieds de leurs montures quelque reste des cendres du bûcher, ils traversèrent toute la lice pour présenter leur cartel à la jeune duchesse qui devait couronner le victorieux.

Le nain de M. de Montmorency, vêtu à l’espagnole et monté sur un petit cheval tout reluisant comme lui de toile d’or, portait, pour son maître, dans un écu ce symbole digne d’un autre Capanée : une mer dont les flots s’élancent vers le ciel, avec cette boutade espagnole : Me levanto[1] ! Je me soulève !

Douze pages suivaient, tous armés de lances vert et or, et tenant de la main gauche, les uns les emblèmes, les autres les devises de leurs seigneurs. Quels emblèmes et quelles devises ! c’étaient pour les trois chevaliers : un laurier droit sous un ciel orageux et les mots : Non timet arma Deûm  ; — des couronnes de laurier sans nombre et les mots : Como mis hazañas, comme mes hauts faits ; — une victime couronnée de laurier dans un grand feu allumé sur un autel et les mots : Quemando me triumpho, quand on me brûle, je triomphe.

Les emblèmes des trois héroïnes n’éveillaient pas comme ceux-là des idées de lutte et de défi : ils appelaient au contraire l’espérance d’une vie posthume, refleurissante et glorieuse. C’étaient : le rameau d’or que portait Enée aux enfers et les mots : Ducet reducetque ; — un laurier avec un soleil au-dessous, auquel on faisait dire : Aun arde para mi, il m’envoie encore ses rayons, — et un laurier élagué qui rejetait de nouvelles branches, avec cette devise : Virescit vulnere.

Ces allusions, quoique transparentes, ne furent pas comprises, ou, si quelques-uns en pénétrèrent le sens mystérieux, ils se gardèrent d’en rien dire. Tant que dura la fête, l’admiration et la joie de la multitude surpassèrent l’espérance des jouteurs. Le soir, les Chevaliers du Laurier, et les autres quadrilles, les Nymphes des monts Pyrénées, les Chevaliers de Beauté et les Amazones parcoururent les rues principales : « Toutes les fenestres estoient si esclairantes de feux et de lumières qu’on eust dit à les voir que le soleil s’estoit

  1. Le Mercure français, qui ne fait aucune allusion à Vanini, donne pourtant de Me levanto cette interprétation prudente : « Plus je m’élève, alors je décroîs. »