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ANALYSESsophie germain. — Œuvres philosophiques.

dance naturelle. L’équilibre est non stable, quand il est établi sur un point où il ne peut subsister qu’autant de temps qu’il est à l’abri de tout choc. Le moindre dérangement venant à rendre aux points qui le composent la liberté de se mouvoir dans la direction de leur tendance naturelle, l’état initial doit finir par être changé en un état opposé au premier ; en sorte que le mouvement ne puisse cesser avant que ce nouvel état, qui n’est autre que celui qui constitue l’équilibre stable, ait remplacé l’état initial.

« Les États gouvernés sans égard aux tendances sociales conservent la tranquillité intérieure aussi longtemps qu’aucun événement ne vent agiter les esprits ; mais la moindre circonstance suffit pour ébranler la société jusque dans ses fondements. Nous voyons alors chaque volonté individuelle recevoir une impulsion nouvelle, et les mouvements qui en sont la suite subsister jusqu’à ce que l’État, reconstitué sur des bases plus solides, offre à chacun les garanties dont il avait senti le besoin. »

Mais où l’analogie cesse avec les doctrines positivistes, c’est lorsqu’il s’agit de déterminer l’origine de la science. Pour A. Comte, l’esprit humain, dans la période théologique et dans la période métaphysique, prend ses créations subjectives pour des réalités ; il conçoit le monde à son image. Dans l’état positif, il redresse celte fausse perspective et reçoit du monde l’image de la réalité. Pour Sophie Germain, au contraire, en tout état, l’esprit porte en lui-même le modèle du vrai, et sa méthode constante est de transporter hors de lui-même les lois de sa propre existence ; si parfois il lui arrive de reporter à lui des compléments dont les objets extérieurs lui ont suggéré l’idée, il n’en reste pas moins le type sur lequel il conçoit tous les êtres. La chose est évidente pour ces temps d’imagination où il peuplait l’univers de légions de divinités et d’abstractions réalisées ; elle est vraie aussi pour ces temps de réflexion et d’expérience où, chassant tout fantôme, il voit la nature à nu. C’est que la science n’est pas simplement la collection des faits. Science veut dire théorie, et, si la science est menteuse quand elle contredit les faits, les faits à eux seuls ne l’engendrent pus. Il faut qu’en eux nous ayons saisi l’unité, l’ordre et la proportion, choses que nous révèle le sentiment de notre existence et par lesquelles nous sommes vraiment le type de la vérité.

Ces conditions de toute existence, que nous sentons en nous, et dont le sentiment nous porte à concevoir toutes choses par analogie avec nous-mêmes, quelles sont-elles ? Sur ce point, la pensée de Sophie Germain s’inspire de ses objets de prédilection, les mathématiques. Ces sciences, l’esprit se plait à les considérer, parce que, par elles, il entre dans l’intime possession de l’être nécessaire et de la vérité pure. Qu’y voyons-nous en effet ? De la définition d’une essence, dérive, par une suite ininterrompue de conséquences, une série de vérités qui ont pour raison l’essence définie. Dans cet ensemble, l’esprit saisit à la fois l’unité, l’ordre et la proportion des parties ; c’est pour lui un fait unique, une vérité totale, malgré le démembrement