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delbœuf. — le sommeil et les rêves

La perception, c’est l’image d’un objet extérieur comme tel qui se forme dans notre esprit sous l’action directe et présente de cet objet. La perception est toujours déterminée. Ainsi j’ai la perception visuelle d’un cheval, ou la perception tactile d’une épingle, lorsque le cheval agissant présentement sur ma vue, ou l’épingle sur mon toucher, fait naître en moi l’idée de ce cheval, ou de cette épingle, en tant que cause extérieure et actuelle de ma sensation.

Autre est l’image d’une chose jadis perçue et évoquée dans mon esprit en l’absence de cette chose, ou du moins en dehors de son action immédiate. Telle est l’idée que j’ai d’un cheval, ou d’une épingle, que je ne vois pas, ou que je ne sens pas, dans le moment où j’ai cette idée. L’image ainsi reproduite est un souvenir.

À côté de ces images dont l’objet n’est plus présent viennent se ranger naturellement et nécessairement les fictions, qui ne correspondent pas à un objet réel et qui sont le produit de la combinaison libre ou spontanée de perceptions ayant passé à l’état de souvenirs. Telle est l’idée que je me fais d’un centaure, ou d’une chimère, ou d’un arbre à figure humaine. Sur le même rang que ces fictions, qu’on peut appeler fantastiques, il faut placer en outre celles qu’on pourrait qualifier de scientifiques, historiques, artistiiiues, etc. C’est ainsi que l’on est arrivé à se représenter la faune et la flore des époques primitives, que l’on se fait une idée de ays qu’on n’a jamais visités ; que l’on donne une figure à Homère, à Moïse, à Confucius, à Alexandre, à César ; et que les Grecs ont fixé dans des marbres immortels les traits de tous leurs dieux et de tous leurs héros.

Les souvenirs et les fictions sont des conceptions. Nos conceptions, il est vrai, ne se bornent pas à des images matérielles. L’homme, grâce au langage dont il est doué, pousse à un très haut degré la faculté d’abstraction et arrive à concevoir des choses qui ne sont pas susceptibles d’une représentation matérielle, telles que la vertu, la bonté, le devoir, la force. Comme nous aurons rarement besoin, dans tout ce qui va suivre, d’user de cette extension légitime du sens du mot conception, il nous servira presque uniquement à désigner les images qui ont été ou sont conçues comme ayant été le fruit d’une perception directe. Je n’ai jamais eu ni pu avoir la perception directe de César ni d’un centaure ; cependant, grâce aux lectures ou aux représentations artistiques, ils me font l’effet d’avoir été ou de pouvoir être l’objet d’une perception.

Les perceptions sont toujours actuelles. Les conceptions peuvent être actuelles ou potentielles. La conception est actuelle quand elle est visible à l’esprit, qu’elle est l’objet de l’attention, qu’elle fait