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delbœuf. — le sommeil et les rêves

On sait ce qui arrive à Sosie. Mercure veut lui ravir son nom et son identité. Cette prétention le révolte :

......Je ne puis m’anéantir pour toi,
Et souffrir un discours si loin de l’apparence.
Être ce que je suis est-il en ta puissance ?
       Et puis-je cesser d’être moi ?
S’avisa-t-on jamais d’une chose pareille ?
Et peut-on démentir cent indices pressants ?
      Rêvé-je ? Est-ce que je sommeille ?
Ai-je l’esprit troublé par des transports puissants ?
      Ne sens-je pas bien que je veille ?
      Ne suis-je pas dans mou bon sens ?
Mon maître Amphitryon ne m’a-t-il pas commis
A venir en ces lieux vers Alcmène sa femme ? Etc.

Sosie repasse ainsi la suite des événements et y retrouve la logique de la réalité. Mais, en voyant que Mercure est au fait des circonstances qu’il se croyait seul à connaître, sa certitude est ébranlée :

      Il a raison. A moins d’être Sosie
      On ne peut pas savoir tout ce qu’il dit ;
Et, dans l’étonnement dont mon âme est saisie,
Je commence, à mon tour, à le croire un petit.

Mercure multiplie les preuves en dévoilant des détails de plus en plus intimes. L’étonnement de Sosie redouble :

Il ne ment pas d’un mot à chaque repartie ;
Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi par la force il est déjà Sosie,
Il pourrait bien encor l’être par la raison.
Pourtant, quand je me tâte et que je me rappelle,
        Il me semble que je suis moi.
Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle
        Pour démêler ce que je voi ?

On connaît la conclusion à laquelle s’arrête son esprit :

Je ne saurais nier, aux preuves qu’on m’expose.
Que tu ne sois Sosie, et j y donne ma voix.
Mais, si tu l’es, dis-moi qui tu veux que je sois :
Car enfin faut-il bien que je sois quelque chose.

Cette histoire d’un individu qui arrive à concevoir des doutes sur sa propre identité a été mise en action de bien des manières. Chaque localité, pour ainsi dire, a sa légende. À Liège, c’est un savetier que des moines ramassent un soir ivre-mort à un coin de rue et qu’ils transportent dans leur couvent. On le lave, on le rase, on le tonsure, on l’affuble d’un froc et on le couche dans une cellule. Le malin, à son réveil, les frères viennent lui présenter leurs hommages et prendre des nouvelles de sa santé. Le pauvre diable essaie en vain de ras-