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tradictions des philosophes entre eux se restreignent méthodiquement et se déplacent en laissant un certain nombre de points incontestés. Ces contradictions nous semblent venir de ce qu’on a trop confondu deux parties différentes de la philosophie, l’une positive, l’autre conjecturale, si bien que tout est devenu conjectural du même coup. Les philosophes ressemblent très souvent à des savants qui introduiraient dans l’exposition des lois scientifiques leurs hypothèses les plus hasardées sur les nébuleuses, sur l’éther et ses ondulations, sur l’unité des forces, sur les atomes, sur la génération spontanée, sur l’origine des espèces, sur l’unité de la vie et de la matière, sur les vibrations nerveuses, etc. ; hypothèses utiles et que nous croyons vraies pour notre part, mais dont le mélange avec les faits certains ne pourrait que rendre à la science moderne le caractère problématique des sciences d’autrefois, par exemple de l’astrologie et de l’alchimie. La philosophie n’est pas encore sortie de sa période de confusion ; malgré les efforts de Kant et de l’école anglaise, on mêle encore la métaphysique, avec ses hypothèses sur la nature de l’âme, de la matière, de Dieu, à la psychologie, à la théorie des mœurs, à l’esthétique, à la cosmologie, à la logique même ; c’est surtout au spiritualisme français et au panthéisme allemand qu’on pourrait adresser ce reproche. Il en résulte que les métaphysiciens, dans leurs discussions, rappellent Hamlet et Polonius discutant sur la forme des nuages et mêlant la fantaisie à la description : — Polonius, ce nuage n’a-t-il pas la forme d’une baleine ? — Non, c’est celle d’une belette. — Non, c’est celle d’un chameau. — Polonius, n’est-ce pas là la substance et l’être ? — Non, c’est le phénomène et le non-être. — N’est-ce pas la liberté ? — Non, c’est la nécessité. — La philosophie ne sortira de l’état chaotique que par la franche distinction de sa partie positive et de sa partie hypothétique, qui rendra possible la conciliation graduelle des doctrines, d’abord sur les objets d’expérience ou de raisonnement, puis sur les objets mêmes d’hypothèses. C’est par une conciliation de ce genre que la science procède et progresse : on commence par se mettre d’accord sur les faits (ce qui n’a pas lieu du premier coup), puis on discute sur les hypothèses, et on finit par s’accorder sur la valeur relative des hypothèses mêmes.

Tout le monde admet aujourd’hui qu’il y a deux choses susceptibles de connaissance positive : 1° le mouvement, ses modes et ses lois ; 2° la conscience, ses modes et ses lois.

La plupart des savants et philosophes contemporains réduisent les modes connaissables de l’existence à ces deux formes, qui reviennent à ce que Descartes appelait le mouvement et la pensée. La dis-