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analyses. — benno erdmann. Philosophie in Deutschland.

était devenu impérieux d’une réconciliation entre la science et la philosophie. Les savants ne pouvaient se contenter indéfiniment des recherches de détail, où le dégoût de la spéculation les avait d’abord confinés.

Le Cosmos de Humboldt donna une première satisfaction au désir général des vues d’ensemble, que la philosophie de la nature avait rendues suspectes pendant si longtemps. Les progrès de la physiologie cellulaire et de la biologie, en étendant au monde vivant comme au reste de la nature l’empire des lois physiques, vint faire briller devant les esprits impatients les conclusions du mécanisme comme les promesses de la synthèse définitive qu’ils cherchaient.

La doctrine qui prétend épuiser, avec les principes et les méthodes du mécanisme, l’explication de la réalité tout entière, le matérialisme en un mot, devait suggérer le premier essai de généralisation, inspirer la première tentative de construction philosophique. C’est en effet la métaphysique qui s’écarte le moins des habitudes de la réflexion scientifique comme de la pensée vulgaire. Les récentes découvertes de la biologie lui donnaient une autorité qu’il n’avait jamais eue auparavant. Et c’est ainsi que, un demi-siècle après Kant, on vit renaître une doctrine avec laquelle l’école de Leibniz et de Wolff semblait en avoir si décidément fini, que Kant n’avait même pas songé à la discuter. Les manifestes contraires dont le congrès scientifique de Leipzig en 1855 fournit l’occasion à Vogt et Wagner, la lutte ardente qui enrôla sous la bannière du premier les partisans du mécanisme absolu, et groupa les adeptes du second autour du drapeau du spiritualisme chrétien, ne tardèrent pas à passionner l’opinion publique. Moleschott et Büchner vinrent plaider devant elle et n’eurent pas de peine affaire triompher, momentanément du moins, la cause du matérialisme, qui paraissait se confondre avec celle même de la science. Il suffit d’insister sur la dépendance où la pensée se trouve de l’organisme, pour qu’il parût démontré que l’esprit n’est qu’une fonction de la matière. Et Cari Vogt put écrire, aux applaudissements de la grande majorité des lecteurs, « que la pensée est vis-à-vis du cerveau dans le même rapport à peu près que la bile au foie, l’urée aux reins. »

Que des esprits sans culture philosophique aient été facilement séduits par une telle doctrine, le prestige des sens, des faits ou des habitudes scientifiques suffit amplement à en rendre compte. Mais on s’étonne que des penseurs de la valeur de Czolbe et d’Ueberweg aient pu un instant s’en éprendre, et surtout qu’un Strauss s’y soit livré sans réserve et pour toujours. Il faut évidemment que la pauvreté de la doctrine leur eût été dissimulée par les services qu’elle seule paraissait alors pouvoir rendre tant à la cause de l’émancipation religieuse et politique qu’à celle du progrès scientifique.

Mais la science elle-même, qui avait fait le succès de la doctrine, ne devait pas tarder à en écarter les esprits. La physiologie des sens, par la doctrine des énergies spécifiques des nerfs, dont Jean de Müller