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avait certainement trouvé le germe dans la philosophie de la nature de Schelling, venait démontrer que cette réalité sensible, dont le matérialisme prétend faire l’unique réalité, est autant le produit de notre organisation que des impressions extérieures. Elle apprenait à discerner dans la connaissance du monde physique la part du sujet et celle de l’objet. Helmholtz, le plus éminent disciple de Jean Müller, développant les vues de son maître dans ses admirables analyses des perceptions de la vue et de l’ouïe, démêla sans peine le rapport de la doctrine nouvelle avec les théories du subjectivisme kantien. Dès 1855, dans un premier essai « sur la vision chez l’homme », il déclare expressément que la critique de la connaissance s’impose au savant aussi bien qu’au philosophe ; que les leçons de Kant ne conviennent pas moins au premier qu’au second ; et que la théorie physiologique de Jean de Müller ne fait que confirmer, sur un point particulier, la doctrine plus générale de l’idéalisme critique, la théorie des formes à priori de la représentation.

Mais ce langage était trop nouveau pour l’oreille des savants : il ne fut entendu qu’après que la publication de l’Optique physiologique (1867), en consacrant définitivement le génie de l’expérimentateur, eut ajouté une autorité nouvelle aux déclarations du philosophe.

L’explication empirique de nos perceptions d’étendue s’inspirait trop directement, dans cet important ouvrage, des enseignements de l’esthétique et de l’analytique transcendantales, pour que l’attention des savants ne se tournât pas vers la philosophie critique. Elle y était d’ailleurs ramenée, vers le même temps, par l’ingénieuse et profonde étude de Zöllner « sur les comètes » (1865). L’éminent professeur de Leipzig y découvrait aux regards étonnés des physiciens que la plupart des grandes découvertes de notre siècle en astronomie, en zoologie, en minéralogie ont été pressenties ou devancées par le génie investigateur de Kant. Et, comme Helmholtz, au nom de la science autant que de la philosophie, il n’hésitait pas à opposer la vérité de l’idéalisme critique aux prétentions du dogmatisme matérialiste.

On n’eut pas de peine à reconnaître alors que la théorie de l’équivalence mécanique des forces dont Robert Mayer avait jeté les premiers fondements en 1842, que les recherches de Riemann sur la métagéométrie, que les principes et les méthodes enfin du darwinisme étaient également conformes non seulement à l’esprit, mais encore aux déclarations expresses de Kant, tandis qu’elles avaient échappé ou même qu’elles étaient contraires aux enseignements des interprètes les plus autorisés jusque-là du matérialisme. Helmholtz s’appliqua et réussit à faire cette démonstration dans les multiples discours qu’il eut l’occasion de prononcer devant les savants[1].

L’action de Kant ne s’exerçait pas moins sur les philosophes que sur les savants. Aux uns comme aux autres, elle promettait un traité de

  1. Voir la collection de ses Vorträge en 3 volumes (2e édition. 1876).