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d’une pluralité d’impressions. La seconde de ces conditions exclut de la classe des localisations primitives les sensations de la peau : elles sont trop confuses, comme les odeurs, et « ne forment pas un système de termes qui, par l’identité de leur dénomination commune, permettent une évaluation exacte en quantités commensurables ». La troisième exclut les sensations de l’ouïe, disposées cependant suivant une échelle dont les degrés sont mesurables d’une façon exacte. En fin de compte, les sensations de la vue paraissent à M. Lotze réunir seules les trois conditions exigées. « La vue, dit-il, est le sens dans lequel la tendance localisatrice se manifeste de préférence… En répétant les rotations du globe de l’œil, en les dirigeant de droite à gauche ou de gauche à droite, en retrouvant toujours la même liaison des impressions, en apercevant la persistance d’un groupe central par rapport aux termes qui vont et viennent, nous nous persuadons que la succession n’est qu’en nous-mêmes, que la coexistence est dans les choses, et que ce qui cause le changement de nos sensations ne consiste que dans la diversité de nos relations par rapport à des objets permanents du monde extérieur. » Les autres localisations, postérieures en date, demanderaient le concours de la vue, ou d’organes mobiles, comme la main.

On peut s’étonner que la notion d’étendue soit provoquée par cet ensemble d’éléments, avec lesquels elle n’a ni ressemblance ni analogie ; mais M. Lotze, métaphysicien prudent, répond avec habileté que, dans sa thèse sur La formation de la notion d’espace, il s’agit simplement de montrer comment la tendance à percevoir les impressions sous la forme de l’espace entre en exercice. « La faculté de répondre à l’impulsion des ondes lumineuses par la sensation du vert et du rouge ne se comprend que comme une manière de réagir propre et innée à la nature de l’âme, et ne donnant lieu à aucune déduction quelconque ; après avoir éprouvé ces sensations, nous en tirons l’idée générale de couleur ; mais assurément nous ne possédons pas d’abord cette notion générale comme un moyen à l’aide duquel nous puissions concevoir le rouge et le vert, ou ranger les couleurs d’après leur affinité, le rouge plus près de l’orangé que du vert. Il en est de même de l’espace. » (Voy. article cité, page 364.) — Objecte-t-on incidemment que cette multitude d’ « affections psychiques » ou de signes locaux qu’il nous faut supposer pour comprendre la localisation simultanée d’un très grand nombre d’impressions, l’observation ne nous les découvre pas ? C’est que, réplique l’auteur, nos localisations sont devenues par l’habitude instinctives et inconscientes ; à l’origine, chez l’enfant, cette aptitude à localiser « ne s’est développée qu’à l’aide d’une série d’expériences qui, si