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a. debon. — localisations psychologiques

comme un seul tout avec lui. Car si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense ; mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau. » (Descartes, VIe méditation.) L’erreur de toute physiologie, et celle de M. Stricker en particulier, est d’imaginer quand même un centre organique de perception dont on n’a découvert jusqu’ici aucune trace, un centre anatomique de l’âme ou de la conscience intérieur au cerveau, un siège physique de la pensée, un point d’inhérence (ou plusieurs) par où l’esprit touche au physique[1] ; en un mot, l’illusion d’optique commune à tous les physiologistes, quand ils parlent psychologie, est de prétendre se représenter chaque fonction, chaque acte ou opération de l’âme sous des images sensibles comme l’envers des fonctions nerveuses. C’est là une faute de langage et de méthode à la fois. Chercher le centre des sensations, centre subjectif et idéal, dans les lobes cérébraux, dans la moelle allongée ou la couche optique, c’est chercher le sujet dans l’objet, l’esprit dans le corps, le moi dans le non-moi. Tout idéale est l’unité psychique du moi : idéale aussi cette sensibilité générale de l’organisme que l’on dit répandue jusque dans les moindres éléments de substance nerveuse. L’une et l’autre, à titre de faits purement et exclusivement subjectifs, sont irreprésentables. C’est un fait d’expérience que tous les points de notre organisme sont capables de provoquer et provoquent sans cesse dans la conscience des affections senties à quelque degré, souvent infinitésimales ; que notre corps est le lieu géométrique de notre sensibilité. Mais que signifie cette expression abréviative : la sensibilité de l’organisme ? Uniquement ceci : tout point de notre corps a la propriété d’exciter au sein delà conscience une sensation distinguée ou non, et projetée ensuite dans une portion limitée de l’espace, appelée le corps. Proposition que M. Stricker interprète ainsi : Mon corps est dans toutes ses parties un sensorium psychique, et chacun de ses points est à la fois sentant et senti. Le psychologue, obligé à

  1. Voy. Dr Appia, De la corrélation physiologique des sens (Congrès et conférences de l’Exposition universelle de 1878, Imprimerie nationale, 1879, No 29 de la série). L’auteur de cet intéressant mémoire essaye de démontrer l’existence d’un centre organique cérébral où convergent les différentes espèces de sensations. L’hypothèse ne nous semble ni valable au point de vue psychologique, ni autorisée par les observations de la physiologie et de la pathologie cérébrales. Ce centre cherché, c’est la fonction mentale elle-même, seule simple et synthétique, qui n’est point matériellement centralisée, mais dont l’action est centralisatrice. Il importe de ne point confondre, comme tout à l’heure M. Stricker, deux choses très distinctes et nullement univoques : des centres physiques et des centres psychiques.