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g. tarde. — la croyance et le désir

ces raisons mathématiques de croire dont je parlais sont à la croyance ce que, d’après les psychophysiciens, le degré de l’excitation extérieure, l’intensité lumineuse par exemple, est au degré de l’impression, à la sensation de lumière. Ce n’est pas qu’il convînt d’étendre à ce nouveau cas le fameux logarithme des sensations. Mais, suivant que la foi est influencée par le désir ou par la répulsion, il est à remarquer que les accroissements vont d’un pas plus rapide ou plus lent que les accroissements parallèles de la probabilité mathématique. Les habitants d’une ville de 10 000 âmes, où se produisent 10 cas de choléra, commencent à être effrayés ; si, le lendemain, il s’en produit 20, leur alarme aura plus que doublé, tandis que si, dès le début, le chiffre de ces maladies eût été 20, l’alarme initiale n’eût pas été sensiblement différente. J’ai 40 billets de loterie, j’en prends 10 autres, mon espérance de gain aura-t-elle passé du simple au double ? Nullement, quoique certains caractères prédisposés aux chimères et plus accessibles à l’espérance qu’à la crainte puissent faire exception sur ce point. Puis notons que, chez le même homme et à propos du même ordre de faits, les accroissements de la foi après avoir été plus rapides que les accroissements parallèles de la probabilité, peuvent "devenir plus lents, ou vice versa. En général, dans le voisinage de son maximum appelé certitude, la croyance en voie d’augmentation se ralentit singulièrement. Dans les sciences, on peut remarquer la résistance singulière qui s’oppose à l’établissement définitif d’une théorie, qui était déjà cependant reconnue pour à peu près démontrée à une époque où les faits qu’elle expliquait étaient deux fois moins nombreux. On découvre chaque jour des faits nouveaux favorables à l’hypothèse transformiste ou atomistique, mais la foi de leurs partisans est bien loin d’en être accrue autant qu’elle l’était dans le principe par la découverte de faits bien moins probants. Sur de simples indices, Newton admit presque sa conjecture devenue loi. Depuis, les observations astronomiques multipliées ont centuplé les preuves de sa théorie, et la foi des savants en elle n’a pu devenir cent fois plus forte. Quoique la certitude ne diffère en rien d’essentiel des autres degrés de la croyance et soit simplement l’une des extrémités de leur série, le passage de la croyance proprement dite à la certitude est, nous le savons, une sorte de changement d’état, comme la solidification d’un liquide, et présente des obstacles propres, comme tout changement d’état.

Si l’on tient compte de ces considérations, on verra que le calcul des probabilités, sans base objective, s’applique à une quantité subjective bien réelle, mais ne peut servir à la mesurer. Son grand mérite,