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le récit de tels conflits. Par nos manières de sentir, au contraire, naturelles ou acquises, nous nous isolons dans le combat. Subtiles ou fortes, délicates ou grossières, elles sont, pour chacun de nous, le côté inoffensif autant qu’inviolable, par lequel ce monde ambiant de la discorde et de la haine, des charlatans et des fanatiques, nous est étranger.

S’il en est ainsi, la totalisation des quantités de croyance ou de désir d’individus distincts est légitime. En fait, elle a été tentée avec un complet succès et une approximation suffisante. Les variations de la valeur vénale des choses, les chiffres de la statistique, et aussi, comme nous le verrons, les triomphes ou les revers militaires des nations, sont des procédés diversement valables de mensuration de ce genre. Nous allons les parcourir.

Je ne m’étendrai pas sur le premier. Les oscillations de la Bourse, on le sait, indiquent passablement, sauf le cas où les fonds publics sont l’unique débouché ouvert aux capitaux disponibles, les vicissitudes du crédit, de la foi nationale dans le succès financier de la chose publique ou de telle entreprise industrielle cotée. On parie plus ou moins fort aux courses, suivant le degré de confiance qu’on a dans la vélocité d’un cheval. L’exaltation ou le déclin de la foi religieuse, de la certitude attachée aux menaces de l’enfer ou aux promesses du ciel, se traduisent dans tous les temps et dans tous les pays, en tenant compte, bien entendu, de la dépréciation des métaux précieux et des variations de la richesse nationale, par le chiffre comparé des sacrifices pécuniaires faits à l’autel, des legs ou donations en faveur du clergé. Ce serait un problème délicat, mais non insoluble, de déterminer à l’aide de ces chiffres, du chiffre comparé de la population à deux époques successives, du chiffre total de la fortune publique à ces mêmes époques, et de beaucoup d’autres données numériques, la fraction exacte qui exprimerait le rapport des deux quantités totales de foi religieuse manifestées à ces deux dates dans la même nation. Si, d’une année à l’autre, les dividendes distribués aux actionnaires d’une compagnie n’ayant pas varié, et les conditions générales du crédit étant restées les mêmes, les actions se vendent 1 300 francs après s’être vendues 500 francs, n’est-on pas fondé à dire que la foi du public dans le maintien durable ou dans l’accroissement prochain, suivant les cas, des bénéfices, a passé du simple au triple ?

La statistique, convenablement maniée, fournit aussi de curieuses mesures du désir général. Par exemple, entre vingt-cinq et trente ans, dans les Pays-Bas, d’après les calculs de M. Bertillon, sur 1 000 garçons 112 se marient chaque année, et sur 1 000 veufs 356 se remarient.