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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

lant à un ami imaginaire) : Attends un instant, William, je viens. Il descendit, ouvrit les portes, sortit en chemise. Le froid du pavé le fit revenir à lui : alors son père le toucha. Il dit : Ah ! très bien, j’ai fait un rêve, et il se recoucha. »

Rapprochons du rêve l’état mental des épileptiques pour aller du connu à l’inconnu. Rien de plus fréquent que les rêves dont le souvenir disparaît immédiatement. Nous nous éveillons pendant la nuit ; le souvenir du rêve interrompu est très net : le lendemain, il n’en reste plus aucune trace. Cela est encore plus frappant au moment du réveil. Nos songes nous apparaissent alors avec beaucoup de vivacité ; une heure après, ils sont effacés pour jamais. À qui n’est-il pas arrivé de se perdre en vains efforts pour se rappeler un rêve de la nuit précédente dont on ne sait plus rien, sinon qu’on l’a eu.

L’explication est simple. Les états de conscience qui constituent le rêve sont extrêmement faibles. Ils paraissent forts, non parce qu’ils le sont en réalité, mais parce qu’aucun état fort n’existe pour les rejeter au second plan. Dès que l’état de veille recommence, tout se remet à sa place. Les images s’effacent devant les perceptions, les perceptions devant un état d’attention soutenue, un état d’attention soutenue devant une idée fixe. En somme, la conscience pendant la plupart des rêves a un minimum d’intensité.

La difficulté est donc d’expliquer pourquoi, pendant la période qui suit l’accès épileptique, la conscience tombe à un minimum. Ni la physiologie ni la psychologie ne peuvent le faire, puisqu’elles ignorent les conditions de la genèse de la conscience. Le cas est d’autant plus embarrassant que l’amnésie est liée au délire épileptique, à lui seul. Voici en effet ce qui arrive chez les sujets qui sont à la fois alcooliques et épileptiques. Un malade pendant le jour est pris d’une crise épileptique ; il brise tout ce qui est à sa portée, se livre à des actes de violence. Après une courte période de rémission, il est pris pendant la nuit de délire alcoolique caractérisé, comme on le sait, par des visions terrifiantes. Le lendemain, revenu à lui, il se rappelle bien le délire de la nuit ; il n’a aucun souvenir du délire de la journée[1].

Il y a encore une autre difficulté. Si l’amnésie vient de la faiblesse des états de conscience primitifs, comment se fait-il que ces états, si faibles par hypothèse, déterminent des actes ? — Suivant Hughlings Jackson, « l’automatisme mental provient d’un excès d’action des centres nerveux inférieurs qui se substituent aux centres supérieurs ou centres dirigeants. » Nous n’aurions ici qu’un cas particulier d’une

  1. Magnan, Clinique de Sainte-Anne, 3 mars 1879.