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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

Ce retour, en effet, se faisait peu à peu. Un jour que sa mère avait un grand chagrin, elle s’écria subitement, après quelque hésitation : Qu’y a-t-il ? À partir de ce moment, elle commença à articuler quelques paroles, mais sans appeler jamais les personnes ni les choses par leur vrai nom. Le pronom « ceci » était son terme favori : elle l’appliquait indistinctement à tout objet, animé ou inanimé. Les premiers objets qu’elle ait appelés par leur vrai nom sont des Heurs sauvages qu’elle aimait beaucoup dans son enfance ; et à ce moment elle n’avait pas encore le plus léger souvenir des endroits ni des personnes familières à son enfance.

« La manière dont elle recouvra sa mémoire est extrêmement remarquable. La santé et la force paraissaient complètement revenues, son vocabulaire s’étendait ; sa capacité mentale augmentait, lorsqu’elle apprit que son amant courtisait une autre femme. Cette idée excita sa jalousie, qui, dans une certaine occasion, fut si intense qu’elle tomba dans un état d’insensibilité qui, par la durée et l’intensité, ressemblait à sa première attaque. Et cependant ce fut son retour à la santé. Son insensibilité passée, le voile de l’oubli se déchira, et, comme si elle se réveillait d’un long sommeil de douze mois, elle se retrouva entourée de son grand-père, de sa grand’mère, de leurs vieux amis dans la vieille maison de Soreham. Elle s’éveilla en possession de ses facultés naturelles et de ses connaissances antérieures, mais sans le moindre souvenir de ce qui s’était passé pendant l’intervalle d’une année, depuis sa première attaque jusqu’à son moment de retour. Elle parlait, mais n’entendait pas ; elle était encore sourde ; mais, pouvant lire et écrire comme autrefois, elle n’était plus privée de communication avec ses semblables. À partir de ce moment, ses progrès furent rapides, quoiqu’elle soit restée sourde quelque temps encore. Elle comprenait aux mouvements des lèvres ce que disait sa mère (mais sa mère seulement), et elles conversaient ensemble rapidement et facilement. Elle n’avait aucune idée du changement qui s’était produit chez son amant pendant son état de « seconde conscience ». Une explication pénible fut nécessaire. Elle la supporta bien. Depuis, elle a complètement recouvré sa santé physique et intellectuelle[1]. »

Nous verrons plus tard, après avoir parcouru tout l’ensemble des faits, quelles conclusions générales sur le mécanisme de la mémoire ressortent de sa pathologie. Pour le moment, nous nous bornerons à quelques remarques que suggèrent les cas précédents.

Il faut d’abord observer que, quoiqu’ils soient confondus par les médecins, sous le titre commun d’amnésies totales, ils appartiennent

  1. Dunn, in The Lancet, 1845, novemb. 15-29, in Carpenter, p. 460 et suiv.