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incapable par elle-même de remuer, elle ressemblait à un animal privée de cerveau. Elle avait bon appétit ; mais il fallait la nourrir, et elle mangeait tout indifféremment, avalant d’une manière purement automatique. — L’automatisme était si bien la seule forme d’activité dont elle était capable que, pendant des jours, sa seule occupation fut d’effiler, d’éplucher ou de couper en morceaux infiniment petits tout ce qui lui tombait sous la main : des fleurs, du papier, des vêtements, un chapeau de paille, etc., puis de disposer toutes ces bribes en dessins grossiers. — Plus tard, on lui donna tout ce qu’il fallait pour faire des raccommodages ; après quelques leçons préparatoires, elle prit son aiguille et travailla alors incessamment du matin au soir, ne faisant aucune distinction entre le dimanche et les autres jours et ne pouvant même en saisir la différence. Elle ne gardait aucun souvenir d’un jour à l’autre et chaque matin recommençait une besogne nouvelle. Cependant, comme l’enfant, elle commençait à enregistrer quelques idées et à acquérir quelque expérience. — On la mit alors à un travail d’une nature plus élevée, à faire de la tapisserie. Elle paraissait prendre un grand plaisir à regarder les patrons avec leurs fleurs et leur harmonie de couleurs ; mais, chaque jour, elle commençait un nouveau travail, oubliant celui de la veille, à moins qu’on ne le lui présentât.

Les idées, dérivées de son ancienne expérience, qui paraissent s’être éveillées les premières, étaient liées à deux sujets qui avaient fait sur elle une forte impression : sa chute dans la rivière et une affaire d’amour. Quand on lui montrait un paysage où il y avait une rivière ou la vue d’une mer agitée, elle était prise d’une grande excitation, suivi d’une attaque de rigidité spasmodique avec insensibilité. Le sentiment de frayeur que lui causait l’eau, surtout en mouvement, était si grand qu’elle tremblait rien qu’à en voir verser d’un vase dans un autre. Enfin on remarqua que, lorsqu’elle se lavait les mains, elle les mettait simplement dans l’eau, sans les remuer.

Dès la première période de sa maladie, la visite d’un jeune homme auquel elle était attachée lui causait un plaisir évident, alors même qu’elle était insensible à tout le reste. Il venait régulièrement tous les soirs, et elle attendait régulièrement son arrivée. À une époque où elle ne se rappelait pas d’une heure à l’autre ce qu’elle avait fait, elle attendait anxieusement que la porte s’ouvrît à l’heure accoutumée, et, s’il ne venait pas, elle était de mauvaise humeur toute la soirée. Lorsqu’on l’emmenait à la campagne, elle devenait triste, irritable et était souvent prise d’attaques. Si, au contraire, le jeune homme restait près d’elle, l’amélioration physique, le retour des facultés intellectuelles et de la mémoire étaient visibles.