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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire


III


Les amnésies progressives sont celles qui par un travail de dissolution lent et continu conduisent à l’abolition complète de la mémoire. Cette définition est applicable à la plupart des cas. C’est par exception seulement que l’évolution morbide n’aboutit pas à une extinction totale. La marche de la maladie est très simple ; peu frappante, comme tout se qui se produit par actions lentes ; très instructive, parce que, en nous montrant comment la mémoire se désorganise, elle nous apprend comment elle est organisée.

Nous n’avons pas à rapporter ici des cas particuliers, rares, exceptionnels. Il y a un type morbide à peu près constant qu’il suffit de décrire. La première cause de la maladie est une lésion du cerveau à marche envahissante (hémorrhagie cérébrale, ramollissement, paralysie générale, atrophie du cerveau, etc., etc.). Pendant la période initiale, il n’existe que des désordres partiels. Le malade est sujet à de fréquents oublis qui portent toujours sur les faits récents. S’il interrompt une besogne, elle est oubliée. Les événements de la veille, de l’avant-veille, un ordre reçu, une résolution prise, tout cela est aussitôt effacé. Cette amnésie partielle est un symptôme banal de la paralysie générale à son début. Les asiles d’aliénés sont pleins de malades de cette catégorie qui le lendemain de leur entrée affirment qu’ils y sont depuis un an, cinq ans, dix ans ; qui n’ont qu’un souvenir vague d’avoir quitté leur maison et leur famille, qui ne peuvent désigner le jour de la semaine m le nom du mois. Mais le souvenir de ce qui a été fait et acquis avant la maladie reste encore solide et tenace. Tout le monde sait aussi que, chez les vieillards, l’affaiblissement bien marqué de la mémoire est relatif aux faits récents.

Là se bornent, ou à peu près, les données de la psychologie courante. Elle semble admettre, au moins implicitement, que la dissolution de la mémoire ne suit aucune loi. Nous allons donner la preuve du contraire.

Pour découvrir cette loi, il faut étudier psychologiquement la marche de la démence. Dès que la période de prodromes, dont on vient de parler, est dépassée, il se produit un affaiblissement général et graduel de toutes les facultés qui finit par réduire l’individu à une vie toute végétative. Les médecins ont distingué, suivant leurs causes, diverses espèces de démence (sénile, paralytique, épilep-