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Elle commence par les souvenirs récents, qui, mal fixés dans les éléments nerveux, rarement répétés et par conséquent faiblement associés avec les autres, représentent l’organisation à son degré le plus faible. Elle finit par cette mémoire sensorielle, instinctive, qui, fixée dans l’organisme, devenue une partie de lui-même ou plutôt lui-même, représente l’organisation à son degré le plus fort. Du terme initial au terme final, la marche de l’amnésie, réglée par la nature des choses, suit la ligne de la moindre résistance, c’est-à-dire de la moindre organisation. La pathologie confirme ainsi pleinement ce que nous avons dit précédemment de la mémoire : « C’est un processus d’organisation à degrés variables compris entre deux limites extrêmes, l’état nouveau, l’enregistrement organique. »

Cet loi, que j’appellerai loi de réversion ou de régression, me paraît ressortir des faits, s’imposer comme une vérité objective. Cependant, pour dissiper tous les doutes et prévenir toutes les objections, j’ai pensé qu’il serait bon de vérifier cette loi par une contre-épreuve. Si la mémoire, lorsqu’elle se défait, suit la marche invariable qui vient d’être indiquée ; elle doit suivre une marche inverse lorsqu’elle se refait : les formes qui disparaissent les dernières doivent reparaître les premières puisqu’elles sont les plus stables, et la restauration doit se faire en remontant.

Il est bien difficile de trouver des cas probants. D’abord il faut que la mémoire revienne d’elle-même ; les cas de rééducation prouvent peu. De plus, il est rare que les amnésies progressives soient suivies de guérison. Enfin, l’attention n’ayant jamais été portée sur ce point, les documents font défaut. Les médecins, préoccupés d’autres symptômes, se contentent de noter que la mémoire « revient peu à pue. »

Dans son Essai cité pus haut, Louyer-Villermay observe « que, quand la mémoire se rétablit, elle suit, dans sa réhabilitation, un ordre inverse de celui qu’on observe dans son abolition : les faits, les adjectifs, les substantifs, les noms propres. » Il y a peu de profit à tirer de cette remarque assez confuse. Voici qui est plus clair.

« Dernièrement, on a vu en Russie un célèbre astronome oublier tour à tour les événements de la veille, puis ceux de l’année, puis ceux des dernières années, et ainsi de suite, la lacune gagnant toujours, tant qu’enfin il ne lui restait plus que le souvenir des événements de son enfance. On le croyait perdu. Mais, par un arrêt soudain et un retour imprévu, la lacune se combla en sens inverse, les événements de la jeunesse redevenant visibles, puis ceux de l’âge