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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

mûr, puis les plus récents, puis ceux de la veille. La mémoire était restaurée tout entière quand il mourut[1]. »

L’observation qui suit est encore plus précise. Elle a été notée heure par heure. J’en transcris la plus grande partie[2] :

« Je dois faire mention d’abord de quelques détails bien insignifiants en eux-mêmes, mais qu’il est nécessaire de connaître, parce qu’ils se lient à un phénomène remarquable. Dans les derniers jours de novembre, un officier de mon régiment fut blessé au pied gauche par le frottement d’une botte. Le 30 novembre, il alla à Versailles pour y avoir un entretien avec son frère ; il dîna dans cette ville, revint le même soir à Paris, et, en rentrant dans son logement, il trouva une lettre de son père sur la cheminée.

« Maintenant voici le fait lui-même. Le 1er décembre, cet officier était au manège ; son cheval s’étant abattu, il tomba sur la partie droite du corps, surtout sur le pariétal droit. Cette commotion fut suivie d’une légère syncope. Revenu à lui, il remonta à cheval « pour dissiper un reste d’étourdissement », et il continua sa leçon d’équitation pendant trois quarts d’heure avec une grande régularité. Cependant, de temps en temps, il disait à l’écuyer : « Je sors d’un rêve. Que m’est-il donc arrivé ? » « On le reconduisit à son domicile. Habitant la même maison que le malade, je fus mandé aussitôt. Il était debout, me reconnut, me salua comme à l’ordinaire et me dit : « Je « sors comme d’un rêve. Que m’est-il donc arrivé ? » — Parole libre. Réponses justes à toutes les questions. Il ne se plaint que de contusion dans la tête.

« Malgré mes demandes, celles de son écuyer et de son domestique, il ne se rappelle ni sa blessure de l’avant-veille, ni son voyage à Versailles de la veille, ni sa sortie du matin, ni les ordres qu’il a donnés avant de sortir, ni sa chute, ni ce qui a suivi. Il reconnaît parfaitement tout le monde, appelle chacun par son nom, sait qu’il est officier, qu’il est de semaine, etc.

« Logé dans la même maison, je n’ai pas laissé passer une heure sans l’observer. Chaque fois que je revenais à lui, il croyait toujours me voir pour la première fois. Il ne se rappelle aucune des prescriptions médicales qu’il vient de suivre (bain de pieds, frictions, etc.). En un mot, rien n’existe pour lui que l’action du moment.

« Six heures après l’accident, le pouls commença à se relever et

  1. Taine, De l’Intelligence, t. I, liv. II, ch. ii, § 4.
  2. Observation sur un cas de perte de mémoire, par M. Kœmpfen, dans le Mémoire, de l’Académie de médecine, 1835, t. IV, p. 489. — Je dois l’indication de cette précieuse observation à M. le Dr Ritti, médecin à l’asile de Charenton.