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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

maisons, moins solides, croulent de tout côté. Enfin, dans l’ordre biologique, la dissolution se fait dans l’ordre inverse de l’évolution ; elle va du complexe au simple. Hughlings Jackson, le premier, a montré en détail que les fonctions supérieures, complexes, spéciales, volontaires du système nerveux disparaissent les premières ; que les fonctions inférieures, simples, générales, automatiques disparaissent les dernières. Nous avons constaté ces deux faits dans la dissolution de la mémoire : le nouveau périt avant l’ancien, le complexe avant le simple. La loi que nous avons formulée n’est donc autre chose que l’expression psychologique d’une loi de la vie, et la pathologie nous montre à son tour dans la mémoire un fait biologique.

L’étude des amnésies périodiques a fait entrer le jour dans notre sujet. En nous montrant comment la mémoire se défait et se refait, elle nous fait comprendre ce qu’elle est. Elle nous a révélé une loi qui nous permet pour le présent de nous orienter au moment des nombreuses variétés morbides et qui nous permettra plus tard de les embrasser dans une vue d’ensemble.

Sans essayer un résumé prématuré, rappelons ce qui a été vu plus haut : d’abord et dans tous les cas, abolition des souvenirs récents ; dans les amnésies périodiques, suspension de toutes les formes de la mémoire, sauf celles qui sont semi-organisées et organiques ; dans les amnésies totales et temporaires, abolition complète, sauf les formes organiques ; dans un cas (Macnish), abolition complète, y compris les formes organiques. Nous verrons, dans le prochain chapitre, que les désordres partiels de la mémoire sont régis par cette même loi de réversion et surtout le groupe le plus important : les amnésies du langage.

La loi de réversion étant admise, il resterait à déterminer comment elle agit. Je serai bref sur ce point, n’ayant à proposer que des hypothèses.

Il serait puéril de supposer que les souvenirs se déposent dans le cerveau, sous forme de couches, par ordre d’ancienneté, à la manière des stratifications géologiques, et que la maladie, descendant de la surface aux couches profondes, agit comme un expérimentateur qui enlève tranche par tranche le cerveau d’un animal. Pour expliquer la marche du processus morbide, il nous faut recourir à l’hypothèse qui a été faite plus haut sur les bases physiques de la mémoire. Je la rappellerai en quelques mots.

Il est extrêmement vraisemblable que les souvenirs occupent le même siège anatomique que les impressions primitives et qu’ils exigent l’activité des mêmes éléments nerveux (cellules et libres). Ceux-ci peuvent occuper des positions très diverses, depuis l’écorce