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analyses. — g. neudecker. Geschichte der Æsthetik.

Bref, l’esthétique empirique n’a absolument aucun moyen méthodique de franchir les limites étroites où elle-même s’est enfermée. Sa définition du beau admise, celle du plaisir immédiat, elle ne peut du subjectif passer à l’objectif, porter un jugement sur la valeur des faits ou des plaisirs ; elle ne le peut sans entrer dans la sphère des principes objectifs. Cela est indispensable pour distinguer la valeur des objets, apprécier leurs mérites et leurs qualités. Elle doit se borner à analyser les effets qui eux-mêmes n’ont plus de sens ; en tout cas, ils ne peuvent eux-mêmes être jugés, qualifiés ni appréciés. Il ne reste plus qu’à abandonner le principe fondamental, à faire le salto mortale, qui consiste à passer de l’esthétique dans la morale ou à les délaisser toutes les deux. Alors on reste dans une parfaite indétermination ou obscurité. Là se montre l’insuffisance philosophique de la pure expérience dès qu’on essaye de résoudre ou qu’on aborde malgré soi ces questions. Cette école, tant quelle se tient à la superficie des choses, se réjouit de sa clarté à bon marché. Dès qu’elle vient à aborder les problèmes plus profonds, elle révèle à chaque pas son impuissance et se contredit ; cette esthétique si dédaigneuse pour les théories antérieures y revient sans cesse et les répète. Elle ne voit pas que ce qu’elle prétend enseigner aux autres a été enseigné avant elle. Ici, en particulier, elle reproduit d’une façon moins précise et plus vague le résultat des recherches de Kant et de Schiller sur l’effet moral des œuvres de l’art pour le perfectionnement moral ou l’éducation esthétique de l’homme et de l’humanité.

L’auteur continue à relever les contradictions de cette doctrine. En ce qui concerne sa théorie de l’art, il est à remarquer, dit-il, que si l’on ne perd pas de vue le principe « du plaisir immédiat », ce pilier qui doit soutenir tout l’édifice empirique chancelle ; le magnifique pignon s’écroule. Le beau dans l’art doit s’appuyer sur un tout autre fondement. En effet, si la mesure de la valeur d’une œuvre d’art ou du vrai beau est dans les suites ou les effets ou dans le résultat, comment d’avance l’apprécier ? Revient d’ailleurs toujours la même objection. Le plaisir n’est plus immédiat, c’est-à-dire proprement esthétique. En tout cas, ce n’est plus un fait simplement psychique qui sert de règle à une pareille distinction du mérite ou de la valeur des œuvres de l’art sous toutes ses formes et dans toutes ses branches. L’esthétique empirique ne veut d’ailleurs absolument aucune règle dans le sens traditionnel. Le plaisir ou le déplaisir (l’agrément ou le désagrément) sont des moments psychologiques, et ainsi s’ordonnent naturellement aussi les lois esthétiques qui s’y rapportent. Là est la clarté, ailleurs l’obscurité. Toutes les questions véritables sont ainsi altérées, faussées, méthodiquement nivelées par une doctrine qui proclame ces faits l’objet unique de la science. L’histoire, jointe à la critique de l’art et de ses formes, perd tout véritable intérêt.

M. Neudecker dresse ainsi d’après cela le bilan de l’esthétique d’en bas : des faits et des lois, pas de causes ou elles-mêmes sont des lois.