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tation des objets comiques. Quoi qu’il en soit, la question, ainsi accidentellement soulevée et épisodiquement traitée, n’en reçoit pas moins une solution remarquable, qui, par son originalité et sa nouveauté, contraste avec la banalité superficielle des définitions et des explications précédentes.

On ne connaît guère de cette théorie que la définition que Kant donne du risible : « l’attente réduite à rien ». Pour comprendre sa pensée et l’apprécier comme elle le mérite, il faut la rétablir dans son intégrité ; il faut surtout envisager les faces différentes du problème telles qu’il les a lui-même étudiées. Le côté physiologique et le côté psychologique sont pour la première fois saisis dans leur rapport et leur réciprocité : ce qui constitue un progrès incontestable si l’on vient à comparer Kant à ses devanciers.

Kant, comme on l’a remarqué (Schasler, Gesch., 556), semble ne voir d’abord qu’une question d’hygiène dans la manière dont le comique, ainsi que la musique, agit sur l’âme par l’intermédiaire des organes du corps : « Tous deux entretiennent, par l’excitation ou l’animation purement corporelle, le sentiment de la santé, quoique cette excitation soit provoquée par les idées de l’esprit. Ce jeu de l’esprit, communiqué au corps, constitue cette jouissance réputée si délicate et si spirituelle. »

Cette jouissance qu’est-eile ? Ce qui la produit, dit Kant, ce n’est pas le jugement de l’harmonie dans des sons, ou des saillies, jugement qui, par la beauté qu’on y découvre, ne sert ici que comme véhicule nécessaire, c’est le développement favorable de la vie du corps, l’affection qui remue les entrailles et le diaphragme, d’un seul mot, le sentiment de la santé (qu’on ne sent pas sans une pareille excitation). Voilà ce qui constitue la jouissance : de sorte qu’on peut aller au corps par l’âme et faire de l’âme le médecin du corps. » (Ibid.)

On a dit (Schasler, ibid.) que cette théorie était celle d’un hypocondriaque. Si on ne la voit que par ce côté, cela est possible ; mais Kant ne s’arrête pas là ; il aborde aussi le côté psychologique, celui des actes ou des opérations de l’esprit qui seuls expliquent le phénomène et la jouissance qui y est attachée. C’est là qu’il se montre original, et nous devons le citer :

« Dans la plaisanterie qui, comme la musique, mérite plutôt d’être rangée parmi les arts agréables que parmi les beaux-arts, le jeu débute par des pensées qui toutes occupent aussi le corps, en tant qu’elles sont exprimées d’une manière sensible. Et comme l’entendement s’arrête tout à coup dans cette exhibition, où il ne trouve pas ce qu’il attendait, nous sentons l’effet de cette interruption qui se