Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
285
a. binet. — de la fusion des sensations semblables

tincte les deux parties différentes des deux états ; quant aux deux portions qui se ressemblent, elles ne font sur la conscience qu’une impression unique[1].

Avant de commencer une étude synthétique de cette loi de fusion, il est peut-être utile de la démontrer, ou du moins de décrire quelques expériences qui mettent sous les yeux du lecteur la manière dont ce phénomène se présente à nous. Afin d’aller du simple au composé, je parlerai d’abord du cas où la fusion des deux états est totale. Un exemple excellent nous en est fourni par les phénomènes de la sensibilité tactile, où nous trouvons, dans des conditions déterminées, des sensations identiques qui se fusionnent : elles se fusionnent si bien que la personne qui n’est pas prévenue qu’elle reçoit deux sensations produites par deux excitations distinctes, croit, en ne percevant qu’une seule sensation, qu’on n’exerce sur sa peau qu’une seule pression. Mais ce phénomène touche à un problème de physiologie très controversé, sur lequel il faut d’abord donner quelques mots d’explication.

Le toucher est le sens qui occupe la plus large surface du corps ; tandis que les sens spéciaux, tels que la vue, l’ouïe, l’odorat et le goût, sont restreints à des parties très étroites de l’organisme, on rencontre le toucher sur toute l’étendue de la peau et même sur quelques muqueuses ; les fosses nasales, la conjonctive, la cavité buccale, le gosier, les deux extrémités du tube digestif, le vagin, le canal de l’urètre nous donnent des sensations de contact. Mais certains départements de l’enveloppe générale présentent une finesse supérieure aux autres. On sait par exemple que sur le milieu du dos la sensibilité tactile est peu développée ; elle est plus fine à la main, plus fine encore à la pulpe des doigts ; elle atteint son degré le plus élevé sur le bout de la langue. Weber a fait à ce sujet des expériences qui sont restées dans la science comme un modèle de précision. Il prenait un compas mousse, et il en promenait les deux pointes sur toutes les surfaces du corps dont il voulait mesurer la finesse. Il constata que, sur le milieu du dos, pour que les deux pointes soient perçues doubles, il faut les écarter de 39 lignes ; plus rapprochées, les deux pointes n’éveillent qu’une impression unique. Sur la poitrine, l’écart nécessaire est de 20 lignes ; sur la cuisse, de 16 ; sur la partie inférieure du front de 10 ; sur la paume de la main, sur le bout du nez, 3 ; sur le bord de la lèvre inférieure, 2 ; sur la pointe du doigt indicateur, face palmaire, 1 ; sur la pointe de la

  1. M. Spencer a fait en quelques mots une exposition très précise de cette loi ; voir Principes de Psychologie, 2e partie, chap. 2.