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analyses. — e. joyau. De l’invention dans les arts.

s’est cru forcé, à tort d’ailleurs[1], d’affirmer que l’humour, la fantaisie, la folie ne rentrent pas dans le cadre de l’imagination. Il ne saurait justifier cette exclusion qu’en prouvant que réellement il n’y a aucun rapport entre l’invention artistique et scientifique et les cas particuliers dont nous venons de parler. Or cette preuve, il ne l’a pas donnée dans son livre, et nous croyons qu’il eût été embarrassé de la fournir. Ainsi, en adoptant la méthode qu’il a suivie, M. Joyau a été amené à restreindre arbitrairement le sens de ce terme d’imagination, qui avait déjà tant d’acceptions, et il a compliqué encore la langue philosophique, déjà si confuse.

Mais, si arbitraire que soit la définition de l’imagination donnée par M. Joyau, elle n’a même pas l’avantage de rendre compte des phénomènes d’invention, en vue desquels elle a été spécialement créée. L’auteur a très bien vu et surabondamment prouvé que dans l’art et la pratique de la vertu, comme dans le domaine scientifique, l’invention humaine s’exerce logiquement. Mais montrer qu’il y a de la logique dans l’invention, ce n’est pas établir que l’invention et la logique soient une seule et même chose. Il y a un abîme entre ces deux formules, et M. Joyau les confond : il prouve fortement la vérité de la première, et il conclut en affirmant la seconde, qu’il n’aurait pu prouver.

D’ailleurs il y a une équivoque, même dans ce mot de « logique », que l’auteur trouve si clair. Dans la recherche scientifique, nous obéissons à la logique des phénomènes que nous impose la nature ; dans l’art et dans la vie, nous suivons la logique de notre pensée, de nos préjugés, et surtout de notre cœur, ce qu’oublie complètement M. Joyau. C’est ce qui fait le caractère personnel dans l’art ; c’est pourquoi nous reconnaissons et distinguons (en écartant les questions de style) la conception d’un Corneille de celle d’un Racine, la peinture d’un Ruysdael de celle d’un Claude Gelée ; c’est la source du plaisir que nous prenons à entrevoir l’âme d’un Molière ou d’un Beethoven à travers les comédies de l’un et les symphonies de l’autre.

M. Joyau, au contraire, obéissant à la tyrannie d’une définition préconçue, arrive à nier toute personnalité dans l’art. Il reprend pour son compte cette formule de Hegel : « La véritable originalité, c’est de n’en avoir point. » — « Les hommes de génie, dit-il, sont ceux où l’on en peut le moins remarquer tout d’abord et dont la personnalité se manifeste le moins. La Chimène que nous connaissons tous n’est pas la Chimène

  1. Il nous est impossible de comprendre pourquoi M. Joyau s’est cru forcé de dire qu’il n’y a d’imagination ou de logique ni dans la folie, ni dans la fantaisie littéraire. Les monomanes sont des êtres essentiellement logiques et de même les œuvres d’un Hoffmann ou d’un Edgard Poë doivent tout leur mérite et l’effet qu’elles produisent à leur extrême logique. Ce sont les prémisses qui sont bizarres, inventées hors de l’ordre ordinaire, soit consciemment par le littérateur, soit inconsciemment par le fou. — Et c’est ce qui prouve quelle différence il y a, contrairement à l’opinion de M. Joyau, entre l’invention et la logique déductive qui en développe les premières données.