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de Corneille, c’est Chimène ; on en peut dire autant d’Othello, d’Agrippine, d’Alceste. »

M. Joyau en arrive à oublier même la liberté qu’il peut y avoir dans le choix du sujet et des détails d’une action. Mais, en supposant que la logique suffise pour expliquer par exemple que Molière ait pu concevoir le caractère d’un Tartufe, encore n’est-ce pas la simple logique qui a réuni dans une même action Orgon. Elmire et Tartufe ; qui a fait Tartufe amoureux précisément de la femme d’Orgon et non d’une autre. Du reste, si la simplicité et la parfaite logique sont des conditions suffisantes de beauté, M. Joyau devrait dire que les ustensiles les plus communs, un encrier ou une marmite, sont les types les plus parfaits de la beauté. L’auteur, par un manque de logique dont nous lui savons gré, n’a pas poussé si loin le paradoxe. En revanche, il écrit quelque part : « Il n’y a rien de simple, rien de vivant comme ces types éternels qui s’appellent don Quichotte et Tartufe, Faust et don Juan. » Faust et don Juan simples ! pourquoi pas Hamlet ? Comme si la vie même dont ces créations sont douées, et les interprétations multiples qu’en ont données les générations successives, n’étaient pas des preuves surabondantes de leur extrême complexité !

En somme, M. Joyau est de l’avis de M. Cousin, pour qui le vrai, le beau et le bien ne sont que l’ordre conçu, l’ordre senti, l’ordre voulu. Il trouve, il est vrai, que le fondateur de la philosophie éclectique n’est pas parvenu à déterminer leur principe commun. Mais en réalité il ne va pas plus loin que M. Cousin ; il nous indique qu’il y a un ordre (ou logique, peu importe le mot) qui est senti, conçu, voulu. Mais comment trouvons-nous cet ordre, comment le choisissons-nous, le créons-nous ? C’est le véritable problème de l’invention, que M. Joyau a posé et auquel il n’a pas essayé de répondre.

Il s’est contenté de montrer : 1o qu’il y a de la logique dans l’art, le domaine de l’invention ; 2o qu’il y a de l’invention dans la science, le domaine de la logique. À vrai dire, nous nous en doutions un peu. Mais M. Joyau n’a pu prouver que la logique et l’invention sont la même chose. L’analyse des caractères, des procédés et du mécanisme de l’invention reste encore à faire, et le problème demeure entier.

Armand Ephraïm