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approbation esthétique… L’énergie volontaire n’a pas de mesure objective ou même ne comporte aucune mesure qui permette de décider entre le plus et le moins de ses manifestations ; elle ne saurait enfin être traduite sous la forme d’une idée. Le concept de perfection, tel que le définit Herbart, n’exprime aucun rapport du genre de ceux qui constituent une idée esthétique. » — Steinthal réfute donc la doctrine de Herbart. Il montre que l’idée de perfection ne repose pas sur la simple comparaison de deux quantités ; qu’elle a une mesure objective ; qu’elle a tous les caractères d’une idée véritable.

L’erreur de Herbart vient de ce qu’il ignore le point de vue historique dans l’analyse des idées. L’idée de la perfection, comme les autres idées morales, s’est insensiblement développée et purifiée, à mesure que la conscience humaine progressait. « Le progrès de l’individu consiste à mettre de plus en plus sa conduite en harmonie avec l’idéal moral de la société ; le progrès pour la société, c’est d’élever son idéal de plus en plus haut. » Nous bénéficions de la culture morale que le passé nous a faite, sans que nos efforts personnels pour réaliser cet idéal supérieur nous rendent nous-mêmes supérieurs par l’intention morale à nos devanciers moins éclairés. Il est évident que l’idée de la perfection n’est pas plus une notion purement mathématique, qu’elle n’est vide de tout contenu moral. On y peut distinguer l’intensité, c’est-à-dire le degré de l’obéissance que la volonté témoigne aux idées ; l’extension, c’est-à-dire le nombre des actes qui sont soumis à l’empire du devoir ; l’essence enfin, c’est-à-dire l’élévation plus ou moins grande de l’idéal poursuivi. Si cette théorie est juste, c’est l’idée de la perfection qui fait le fond de toute moralité, qui distingue le bien du vrai et du beau, qui permet de mesurer le progrès de l’individu et de l’humanité dans la vie morale, qui nous fait découvrir le principe même de la responsabilité dans le caractère, dans le fonds intime de la personnalité ; qui nous rappelle enfin que l’idéal moral est perfectible et qu’il dépend de nous d’ajouter à la dignité de la nature humaine. Nous avons raison d’identifier la perfection avec la moralité. L’homme vertueux seul, en effet, réalise complètement l’idéal humain : et nous avons vu, en commençant, qu’il n’y a de parfait, selon l’étymologie même du mot, que ce qui est entier, achevé. « L’artiste peut être parfait comme artiste : « l’homme en qui se rencontre la perfection morale est aussi le seul qui possède l’humaine perfection. L’art n’est qu’une partie de l’homme ; la vertu est l’homme tout entier : car elle réside dans le vouloir, dans la production personnelle. Sans doute, la science et l’art sont des œuvres de la volonté ; mais le vrai et le beau ne sont que des modifications du bien, et il n’est méritoire pour l’homme de les rechercher qu’autant qu’il poursuit en eux le bien. Le bien embrasse l’homme tout entier, »

Jurgen Bona Meyer : Le génie et le talent.

On a beaucoup parlé du talent et du génie-, mais on est encore bien loin d’une théorie complète et définitive de leurs différences. Nulle part