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aux idées et aux sentiments, auxquels s’est habituée la conscience de l’individu et qui sont inséparables de son moi, est ressenti par ce dernier comme une menace pour son existence, comme une réduction et une perturbation de son être. De là cette défiance, cette haine instinctive de l’étranger, qui, d’après Cicéron, confondrait dans le même nom, hostis, l’étranger et l’ennemi. De là ce mot de Plaute : « Homo homini ignoto lupus est. » Il n’est pas besoin d’insister sur les causes sans nombre d’antagonisme que suscitent entre les hommes la division des intérêts, l’opposition des idées, des croyances, des passions. Maison peut mesurer à l’énergie de ces réactions contre les ennemis, qu’il rencontre ou croit découvrir autour de lui, l’énergie du sentiment primitif, qui le portait d’abord à s’unir à eux par les liens de la sympathie.


VIERTELJAHRSSCHRIFT FUER WISSENSCHAFTLICHE
PHILOSOPHIE.


1880. 2e Livraison.

C. Semper : Sur l’application des hypothèses monophylétique et polyphylètique à la théorie de la descendance.

Dans les sciences de la nature, tout problème résolu fait place immédiatement à de nouveaux problèmes, qui attendent leur solution. C’est ainsi qu’à l’antique mystère de l’origine des espèces, momentanément éclairci par la doctrine darwinienne, ont succédé d’autres mystères, non moins impénétrables jusqu’à présent, ceux de l’hérédité et de la variabilité, de la descendance, de la part d’influence qui revient à la sélection et aux conditions d’existence. Le darwinisme a sans doute le droit de voir là autant de faits incontestables, et d’en tirer des arguments en faveur de sa théorie ; mais il est obligé de reconnaître que chacun d’eux demeure jusqu’ici un fait inexpliqué. Le problème de la descendance ou de la parenté des espèces différentes est celui qui intéresse le plus aujourd’hui la curiosité des savants. L’anatomie comparée et l’embryologie ont été simultanément consultées. Mais on sait combien les dispositions subjectives des savants modifient l’interprétation des faits. L’un ne voit qu’une analogie accidentelle, où l’autre découvre une ressemblance importante. On a cru pendant longtemps que la présence de la colonne vertébrale suffisait à ranger dans un même genre tous les êtres en qui elle se rencontre. Mais les petites lamproies de mer manquent d’un tel organe : elles ne possèdent à la place qu’un cordon particulier, entièrement inarticulé, auquel on a donné le nom de corde dorsale. Pour le reste, ces animaux ressemblent aux autres poissons : il a donc bien fallu les ranger dans la classe des vertébrés. On s’entendit pour considérer cette corde dorsale comme l’origine de la colonne vertébrale. On se félicita de trouver chez certains invertébrés, comme les ascidies, un simple cordon cellulaire ; et l’on se crut autorisé à rattacher