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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

dirimante, soit un ensemble de preuves équivalant par leur assemblage à une démonstration rigoureuse et irréfutable.

Or la preuve absolue est impossible à donner. Une personne est là, qui parait endormie. Qu’elle soit plus ou moins analgésique, plus ou moins anesthésique, cela importe peu, dit-on, puisque, d’une part il est facile de simuler ces deux symptômes, et que, d’autre part, ils sont loin d’être constants dans le somnambulisme. Si l’on voulait prendre ces modifications de la sensibilité comme critérium absolu, on serait amené presque fatalement à déclarer endormis des sujets qui ne le sont peut-être pas, et d’autre part à affirmer la mauvaise foi de certaines personnes réellement endormies. Les yeux fermés, les mouvements saccadés des globes oculaires, les mouvements fibrillaires des paupières, les contractures, les hallucinations, tout cela, il est à la rigueur possible de le simuler. Qui nous dit que la personne qui paraît endormie ne simule pas ces phénomènes ?

Il n’y a donc pas de signe absolu, ou plutôt il y en a un. Mais celui-là est difficile à donner et ne peut convaincre qu’une seule personne : c’est en effet de l’endormir elle-même et de lui faire raconter à son réveil, par des témoins divers, le récit des actes qu’elle a accomplis pendant son sommeil, et dont le souvenir s’est échappé de sa pensée. J’ai employé cependant ce moyen plusieurs fois, une fois entre autres pour miss C… Miss C…, après avoir assisté à une expérience, me déclara que la bonne foi de la personne endormie ne lui était nullement prouvée. « Que voyez-vous là d’extraordinaire ? me dit-elle ; elle a parfaitement pu simuler le sommeil. Je ne pourrai croire au somnambulisme que quand vous m’aurez endormie. » Je lui proposai de tenter l’expérience ; elle accepta, et au bout de dix minutes elle fut endormie. À son réveil, malgré mes affirmations et les assertions de Mlle D…, son amie, qui, comme elle, étudie la médecine, elle ne voulut pas croire à son somnambulisme et m’accusa presque de lui avoir fait prendre un breuvage soporifique. Cependant elle fut forcée de se rendre à l’évidence, surtout en voyant l’heure à sa montre, et en constatant que ce qui lui avait paru une minute avait duré une heure et demie.

En résumé, il n’y a qu’une preuve absolue, irréfutable, du somnambulisme : c’est d’endormir la personne qu’on veut convaincre.

Malheureusement ce moyen est peu praticable, et pour plusieurs raisons ; entre autres, parce que les savants qu’il s’agirait de persuader seraient de très mauvais somnambules. D’ailleurs on ne pourrait ainsi convaincre qu’une seule personne à la fois. Il faut donc avoir recours à d’autres arguments.