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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

mobile[1]. Nulle règle fixe ; les phénomènes observés varient avec chaque observateur et avec chaque sujet. Ce qu’on annonce ne se produit pas, et ce qu’on n’annonce pas se produit.

Qu’il y ait chez les divers somnambules de notables différences, on ne peut le nier. Mais ces dissemblances ne portent que sur des phénomènes secondaires. Au fond l’état somnambulique est le même chez tous. On peut le caractériser d’un mot en disant que c’est de l’automatisme. Quoi de surprenant que cet automatisme revête différentes formes, suivant la personnalité du somnambule d’une part, et d’autre part, suivant les procédés qu’on a employés pour provoquer le sommeil.

D’ailleurs la diversité, l’inconstance, l’irrégularité, s’expliquent parfaitement par la prodigieuse complexité des phénomènes de l’esprit. Le cerveau est assurément un appareil mille fois plus compliqué qu’une flûte et toutefois, un ignorant ne saurait jouer de la flûte, s’il n’en a, par un long usage, appris d’abord le maniement. « Vous voudriez jouer de moi, dit Hamlet aux émissaires du roi son oncle, vous voudriez avoir l’air de connaître mes soupapes, vous voudriez me faire résonner depuis ma note la plus basse jusqu’au haut de ma gamme. Il y a beaucoup de musique, il y a une voix excellente dans ce petit tuyau, et pourtant vous ne pouvez le faire parler. Par là sambleu ! pensez-vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte ? »

Ces paroles d’Hamlet peuvent s’adresser à ceux qui trouvent les phénomènes psychiques du somnambulisme trop inconstants pour être scientifiques. Supposons cinquante individus inexpérimentés essayant tour à tour de jouer le même air sur une même flûte ; ils ne vont en tirer que des sons discordants et cinquante fois différents. Pourquoi s’étonner alors que des médecins ou des observateurs, tous très ignorants de la nature intime du système nerveux, n’obtiennent que des résultats contradictoires ? À mon sens, il est même surprenant que, malgré notre ignorance profonde, malgré la diversité presque infinie des conditions expérimentales, il y ait encore tant

  1. Dans un article du Times où l’on analysait le travail que j’ai fait paraître dans la Revue des Deux Mondes sur les démoniaques d’aujourd’hui et d’autrefois, on m’a objecté qu’il est impossible de décrire les phénomènes changeants et fugaces de l’hystérie. Autant vaudrait, disait le critique, essayer de fixer sur nue plaque photographique la surface mobile de l’Océan. À cette observation, qui me paraît peu fondée et peu justifiée par les faits, on joignait un autre reproche assez singulier : c’est de parler de choses qu’on devrait taire ; de provoquer, par la description de l’hystérie, des accès de cette maladie ; de contribuer, en un mot, non à la connaissance, mais à l’extension du mal. Voilà, il me semble, de la pruderie scientifique.