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gralement le vers qu’il avait entendu. Chez F…, lorsqu’il est réveillé, je puis taire renaître le souvenir de ce qu’il a fait. Il me dit d’abord qu’il ne se rappelle rien ; puis, si je lui indique par exemple qu’il s’est levé et qu’il a eu peur… : « Ah oui je me souviens, tu m’as fait voir un serpent. » En tout cas, pour que ces réminiscences confuses se reproduisent, il ne faut pas attendre trop longtemps, car le lendemain ou les jours suivants on ne peut plus les retrouver. Ne voit-on pas là une très grande analogie avec le rêve et le sommeil ordinaire ? Quand on est réveillé brusquement, on peut à ce moment même se rappeler le rêve qu’on faisait ; mais, au bout de quelques minutes, le souvenir a fui complètement de la mémoire, et ce n’est jamais que par hasard qu’on retrouve dans le jour quelques lambeaux du songe de la nuit ; tandis que le matin, au moment même du réveil, on est capable de le reconstruire en grande partie.

J’ai pu observer aussi, quoique beaucoup plus rarement, un phénomène bizarre. L…, sujet extrêmement sensible, ne conservait au réveil aucun souvenir de ce qu’elle avait fait, dit ou entendu pendant son sommeil. Cependant la mémoire n’avait pas complètement disparu, comme l’indique le fait suivant. Elle mangeait fort peu d’habitude. Un jour, pendant son sommeil, je lui dis qu’il fallait manger beaucoup. Étant réveillée, elle avait complètement oublié ma recommandation. Cependant, les jours suivants, la religieuse de l’hôpital me prit à part pour me dire qu’elle ne comprenait rien au changement qui s’était fait en L… « Maintenant, dit-elle, elle ne peut plus se rassasier, et me demande toujours plus que je ne lui donne. » Il y avait donc probablement souvenirs vagues et impulsions inconscientes, liés à une réminiscence confuse des faits antérieurs.

Voici ce qui a heu le plus souvent. J’endors V…, par exemple. Je lui récite quelques vers, puis je la réveille. Elle n’en a conservé aucun souvenir. Je la rendors de nouveau ; elle se rappelle parfaitement les vers que je lui ai récités. Je la réveille, elle a oublié de nouveau.

Ainsi peut s’expliquer le dédoublement de la personne ; ce qui fait le moi, c’est la collection de nos souvenirs, et, lorsqu’il s’en trouve de réservés à un état physique spécial, on est presque en droit de dire que la personne s’est dédoublée ; il y a celle qui se souvient de toute une série de faits ; il y a celle qui ne peut plus s’en souvenir. Je le répète, c’est là un phénomène très général, et j’ai bien rarement constaté des exceptions à cette règle.

Si la mémoire active est profondément troublée, en revanche la mémoire passive est plutôt exaltée. Les somnambules se représentent avec un luxe inouï de détails précis les endroits qu’ils ont