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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

en l’air, et bondit comme si on lui taisait une blessure. On peut le comparer, comme je le lui ai souvent dit, à une grenouille strychnisée.

Les troubles de la mémoire présentent beaucoup d’intérêt et peuvent nous servir à mieux déterminer les conditions d’existence de cette fonction à l’état normal.

D’abord il y a lieu de distinguer, comme je l’ai fait ailleurs en étudiant les phénomènes psychologiques de l’intoxication chloroformique, la mémoire active de la mémoire passive. Ces deux différentes facultés sont confondues sous le même terme mémoire ; mais elles indiquent deux choses distinctes. La mémoire active, c’est la puissance de retenir, de graver dans le souvenir les faits et les mots qui frappent nos sens ; la mémoire passive, c’est la puissance d’évoquer les souvenirs anciens, de faire revivre les faits et les mots qui ont auparavant frappé nos sens. Or chez les somnambules la mémoire passive est exaltée, tandis que la mémoire active est anéantie ou amoindrie.

En effet, lorsqu’on réveille une personne qui dans son sommeil a accompli certains actes, prononcé ou entendu certaines paroles, elle n’en a conservé en apparence aucune trace. Si la personne s’est levée et habillée, par exemple, elle est dans une stupéfaction profonde, tâte ses habits, regarde d’un air hagard les personnes qui l’entourent, et ne peut croire à la vérité de ce qu’on lui dit sur sa conduite pendant le sommeil. Comme, au point de vue psychologique, le temps n’est mesuré que par le souvenir des idées, elle a absolument perdu la notion du temps. Pour elle, le moment où elle s’est endormie se confond avec le moment du réveil. Miss G… nous disait que son dernier souvenir était celui d’un vase de fleurs qu’elle avait vu sur la cheminée. « Tout d’un coup, j’ai cessé de le voir, et mon évanouissement n’a duré qu’une seconde. »

En 1875, lorsque je publiai mon premier mémoire sur le somnambulisme provoqué, je disais que la perte de la mémoire est un fait constant. Il y a là une exagération manifeste. Le souvenir n’a pas disparu complètement : il est confus et vague ; il suffit alors, pour le faire revenir, de mettre sur la voie, et aussitôt la mémoire reviendra. M. Heidenhain[1] cite plusieurs exemples de ce rappel du souvenir. Après avoir endormi son frère, il lui dit ce vers d’Homère :

Ποῖόν σε ἔπος φύσεν ἕρκος ὀδόντων·

Puis il le réveilla. Pour faire renaître le souvenir de ce vers, il suffit de dire : « Homère. Fuite. » Aussitôt M. A. Heidenhain répéta inté-

  1. Loc. cit., p. 12, 13.