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g. lyon. — un idéaliste anglais au xviiie siècle.

main ? » — Pourquoi non ? répondrait volontiers l’utopiste. Pour n’être proclamée que par une seule bouche, la vérité en est-elle moins digne de créance ? Aussi bien il n’est pas prouvé que personne n’a pensé comme moi ; ce que seul j’ose dire, d’autres peut-être l’ont admis en silence. — « Mais, répliquera le défenseur du préjugé, ne sentons-nous pas qu’un monde extérieur existe ? » — Etrange question et qui témoignerait d’an philosophe bien novice ! Comment la sensibilité nous assurerait-elle de l’extériorité d’une existence, impuissante qu’elle est à constater même simplement une existence ? Autant vaut dire que l’on entend des couleurs et que l’on voit des sons. L’existence est connue par raisonnement ; par sentiment, non pas.

Enfin, peut-être se réclamera-t-on du nom considérable de Descartes, au dire de qui Dieu serait un trompeur si le monde n’existait pas. — Mais, d’abord, à quel monde est-il fait allusion ? Visible ou invisible ? S’il s’agit d’un monde invisible, l’objection ne nous touche pas, puisque nous ne traitons que du monde révélé à nos yeux. S’il est question au contraire de l’univers coloré que nos regards embrassent, on nous accordera que le procédé de Descartes est bien dangereux. Comme il serait facile à tout dialecticien à bout de raisons d’invoquer la Providence divine et de légitimer par un appel religieux l’irrésistible inclination de tel ou tel de nos jugements ! Mais Descartes lui-même, à ses heures, a tenu peu de compte de la croyance instinctive, pour peu qu’elle lui parût hostile à ses découvertes II a professé, en dépit d’elle, que la lumière ne réside pas dans le soleil, ni la chaleur dans le feu, etc. Pourquoi nous interdirions-nous, par égard pour cette même inclination, de nier l’extériorité du monde visible ?

Au risque de couper le fil de notre analyse, nous nous permettrons, à notre tour, de réfuter cette réfutation. Descartes n’a jamais commis la faute de justifier les illusions des sens par un recours direct à la véracité de Dieu. Qu’on lui en fasse ou non un crime, personne plus que lui n’a fait fi des perceptions et des faits ; sa philosophie est pure d’expérience, et, s’il a connu la nature, c’a été en lui dictant ses lois[1]. La véracité de Dieu ne lui est utile qu’à garantir la persistance de la trame qui unit nos idées et simplement peut-être les droits de la mémoire à fournir des jalons au raisonnement[2].

  1. C’est ainsi que le Traité des passions, tant admiré, dit-on, de Gratiolet, en dépit de sa méthode déductive, coïncide sur bien des points avec La physiologie moderne.
  2. Heureuse trouvaille de M. Rabier. Voy. sa remarquable édition classique du Discours de la méthode (1878).