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D’ailleurs Collier a fort à propos douté dès le début que l’interprétation donnée aux paroles du maître fût la bonne ; car le monde auquel croyait Descartes était en effet le monde invisible, issu de la pensée et tout à fait distinct de cet univers visible, fait d’attributs inconsistants de formes et de couleurs, sorte d’écran qui nous cache le véritable. L’auteur de la Clavis abondait dans le sens cartésien.


V


De la tâche entreprise, une moitié vient d’être accomplie ; mais à la rigueur, observait Collier dans son Introduction, la seconde moitié peut être regardée comme superflue. S’il est prouvé que le monde visible ne nous est nullement extérieur, l’existence d’un monde matériel indépendant de nous n’a désormais plus de sens. Ce mot visible, ne l’oublions pas, est pris par Collier dans toute son étendue. De toutes les perceptions qui nous représentent les choses, il choisit celles de la vue comme les plus accréditées. C’est au rapport de leurs yeux plus que de leurs mains que le commun des hommes ont foi ; les choses n’existent pour eux que dès l’instant où ils les ont vues. Mais cette confiance est, nous le savons maintenant, mal placée. Ou plutôt c’est nous qui comprenons mal les indications du mieux informé de nos sens : l’œil voit des objets ; notre tort est d’en induire que ces objets existent vis-à-vis de nous.

Toutefois, nos regards pourraient bien être des informations bornées. Peut-être existe-t-il un univers matériel dont ils n’ont pas connaissance et qu’ils n’atteindront jamais. Ce qu’ils apercevaient n’est pas ; peut-être, en retour, ce qui leur échappe existe-t-il.

Cette hypothèse, dernier rempart où s’abrite le préjugé, pourrait être forcée bien vite. Collier préfère, en tacticien méthodique, la circonvenir par une longue et pesante série d’arguments, la serrer de plus en plus près et l’emporter enfin de haute lutte. Il a choisi neuf arguments qu’il distribue, convenons-en, sans trop d’ordre. Où un seul théorème eût pu suffire, il dispose toute une géométrie.

1o Le monde visible ne nous est point extérieur ; d’où il suit, de nécessité, que pour nous être extérieur le monde matériel doit nous être invisible. Or une réalité contingente, telle que serait un pareil monde, ne pourrait être connue de nous à l’aide de la raison, faculté qui juge du nécessaire ; et comme, par hypothèse, elle ne saurait non plus nous être annoncée par nos sens, elle serait forcément inconnue de nous. Un monde invisible n’existerait donc pas pour nous, puisque nous l’ignorerions, et nous devons nous taire de ce