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croire que l’approbation et le blâme que nous donnons aux actions morales et immorales ne naissent pas de notre nature ou de notre constitution — ne sont pas innées, — mais ont pour cause l’habitude et l’association. » Les germes déposés par Hobbes et Locke commençaient donc à se développer ça et là dans les esprits. Il n’est pas surprenant que A. Smith, d’ailleurs élève et en toutes choses continuateur de Hutcheson, ait fait lui-même place à l’association des idées dans son ouvrage sur les sentiments moraux. Le chapitre premier de la cinquième partie, « De l’influence de la coutume et de la mode sur les notions que nous avons de la beauté et de la difformité, » montre que les effets de l’association étaient de notoriété dans l’Ecole. « Lorsqu’on a vu souvent deux objets ensemble, l’imagination s’habitue à passer aisément de l’un à l’autre (c’est bien la théorie de Locke) ; dès que le premier parait, nous comptons que l’autre va suivre. D’eux-mêmes ils se rappellent mutuellement dans notre esprit, et l’attention s’y porte facilement. Quand il n’y aurait aucune beauté dans leur union sans la coutume, dès qu’elle les joint ensemble, nous sentons de la disconvenance dans leur séparation ; nous pensons que celui qui va sans son compagnon ordinaire ne va pas bien ; nous trouvons à redire quelque chose que nous attendions, et cela dérange l’ordre habituel de nos idées… Lorsqu’il y a une convenance naturelle dans leur union, la coutume fortifie le sentiment que nous en avons et fait qu’un autre arrangement nous parait encore plus désagréable. » La pensée de Hutcheson prend ici, on le voit, plus de netteté et d’ampleur. C’est une tradition dans l’école que de recourir à la liaison habituelle des idées, à la coutume pour expliquer nos jugements autrement que par des idées innées. Qu’un philosophe s’y rencontre animé du même esprit que Hobbes et disposé à la généralisation, il sera conduit naturellement à une théorie de la connaissance fondée sur ce même principe.

Tel fut Hume, dont on n’a pas assez montré les rapports intimes avec les Écossais. M. Ferri aurait pu faire ce que nous venons d’essayer, c’est-à-dire montrer par quelles voies la théorie de l’association est venue envahir en quelque sorte tout le fond de la philosophie de Hume. Ce n’est pas assez de dire en manière de transition : « L’essai de Locke fut publié en 1690. Quarante années après, en 1738, paraissait le Traité de la nature humaine de David Hume. »

Il n’y a rien à ajouter à ce que M. Ferri dit de Hume ; la section IV du livre premier lui a fourni les passages caractéristiques de sa doctrine sur l’association : à savoir ceux mêmes où les traits essentiels de sa théorie de la connaissance sont exposés. Ou sait que, suivant lui, la ressemblance, la contiguïté dans le temps et dans l’espace, le rapport de cause en effet sont « les principes d’union entre les idées » ; que « ces qualités produisent une association entre les idées » ; qu’ « à l’apparition d’une idée elles en introduisent spontanément une autre ». « C’est là, ajoute Hume, une sorte d’attraction qui dans le monde de l’esprit produit des effets aussi extraordinaires que ceux de l’attraction qui régit