Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/450

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
440
revue philosophique

même de l’évolution, son attaque contre une doctrine qui n’en est que l’application partielle peut plaire comme une opération bien conduite dans une grande manœuvre : cela ne fait de mal à personne. Il n’en sera pas ainsi d’un lecteur qui repousse le principe même de l’évolution, il pourra donner à tout ce morceau un applaudissement sans réserve.

L’idée dominante de cette réfutation est que les opérations supérieures de l’entendement ne peuvent s’expliquer par des rapprochements ou des séparations mécaniques résultant des mouvements extérieurs et parallèles à eux, mais qu’elles exigent l’intervention d’une force nouvelle, diverse, indépendante. Quand l’enfant conçoit le général et le nécessaire, cette force fait son apparition dans la conscience vouée jusque-là aux impressions sensibles et à leurs arrangements fortuits. Elle introduit « les comparaisons et les connexions » là où il n’y avait que « des cohésions et assimilations ». Cette force n’est pas soumise à l’automatisme ; elle est progressive et libre. Spencer a bien vu et supérieurement décrit l’existence d’une activité intermédiaire entre la sensation et la pensée pure, activité déterminée par les rapports et par les propriétés fondamentales des phénomènes physiques auxquels elle est unie ; mais cette activité n’est pas la seule ; Spencer est allé un peu plus loin que Bain dans la série des opérations intellectuelles, il n’est pas encore allé jusqu’au sommet ; il n’a pas connu cette activité qui se saisit elle-même, ce sujet qui se distingue de ses opérations et qui, supérieur aux conditions subies, quoiqu’il en reçoive le contre-coup, s’en affranchit de plus en plus dans la double sphère de la connaissance et de l’action. Spencer a appliqué à l’étude de la seconde la méthode qui eut convenu à l’étude de la première. Aussi arrive-t-il à enlever toute initiative au moi dans la formation de cette série d’agrégats composés de représentations par lesquels l’esprit entre en correspondance avec l’univers : encore s’il le niait résolument ! mais il en fait un je ne sais quoi d’inconnu, qu’il place face à face avec cet autre inconnu qui, suivant lui, fait le fond de la matière. Deux nexus inconnus permanents n’expliquent rien. Enfin, en faisant de l’esprit la plaque photographique où le monde vient se peindre, il suppose que le monde est tout fait, quand il se présente à la pensée ; mais le monde n’est-il pas l’œuvre du sujet, du moins pour une bonne part, et ne serait-il pas nécessaire de tenir compte de cette collaboration ?

En finissant, M. Ferri maintient la supériorité de l’homme sur l’animal, ou du moins, car personne, que je sache, ne la nie, la distinction de nature entre l’animal et l’homme. Si l’esprit humain était un résultat de l’association, il n’y aurait entre les bêtes et nous qu’une différence de degré ; c’est en réfutant la doctrine de l’association qu’on établit victorieusement que cette différence est une différence spécifique. Quand on voit l’auteur aussi fermement attaché aux solutions traditionnelles, on lui sait gré des efforts qu’il a faits pour pénétrer dans la pensée de ses adversaires. Il leur propose même des concessions et des transactions. À vrai dire, l’une d’elles est assez acceptable, s’adressant à un partisan